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Bulletin Quotidien Europe N° 12765

20 juillet 2021
Sommaire Publication complète Par article 25 / 25
Kiosque / Kiosque
N° 042

Goodbye Britannia

 

Avec cet ‘au revoir’, j’espère enfin être arrivé au bout des très et même trop nombreux ouvrages traitant du Brexit. Les Anglais ont voulu nous quitter. Les Écossais souhaitaient rester et viennent de le manifester une nouvelle fois en fêtant la victoire de l’Italie à Wembley. Arriveront-ils à se séparer de l’Angleterre pour nous rejoindre ? Nul ne le sait, mais ce serait pour moi un bel épilogue à cette saga absurde, où s’entremêlent ambitions personnelles, mythes nationaux, mensonges éhontés, précarité économique, peurs diverses et beaucoup de ridicule. L’Union européenne, comme le Royaume-Uni, en sort affaiblie. C’est triste, mais il est temps de tourner la page.

 

Au cours des trois dernières années, Kiosque a rendu compte de bien des ouvrages publiés tant en anglais qu’en français sur un Brexit qui aura nourri la littérature sous toutes ses formes. Après le récent livre du négociateur européen, Michel Barnier, il aurait été difficile de ne pas évoquer celui de Sylvie Bermann, qui a vécu le choc du référendum aux premières loges. La diplomate française, ancienne représentante au comité politique et de sécurité à Bruxelles, était Ambassadeur de France à Londres à partir de 2014, et nous offre ainsi une plongée dans la vie quotidienne et le monde politique britannique. S’il ne peut éviter de rapporter des faits largement relatés ailleurs, l’ouvrage a le mérite de décrypter tant le fonctionnement des institutions britanniques que les interactions personnelles des principaux acteurs politiques. Récit des événements et portraits, de Cameron à Corbyn, en passant par Farage et Bojo, y alternent, mais l’humour n’est jamais loin et Sylvie Bermann n’hésite pas à convoquer Alice au pays des merveilles ou Astérix et Obélix dans un essai nourri de souvenirs personnels et d’anecdotes.

 

Si le Brexit est d’abord le fruit d’une longue litanie de mensonges, dont Boris Johnson a été l’un des principaux propagateurs, les mythes y ont aussi leur part. À commencer par la référence constante à la relation spéciale que les États-Unis entretiendraient avec le Royaume-Uni, alors que les Américains s’en amusent. « L’ancien conseiller d’Obama, Jeremy Shapiro, a même révélé que, pour les États-Unis, cette notion n’avait pas tellement d’importance : les responsables américains veillaient à utiliser cette expression lors des conférences de presse où les Britanniques étaient représentés, mais riaient en coulisse. Donald Trump en avait une vision aussi cynique, même si, de temps en temps, il y faisait allusion autant pour provoquer les Européens et les Remainers qu’il abhorre que pour plaire à son homologue populiste Boris Johnson en lui promettant un accord de libre-échange ultrarapide, dont les termes n’auraient au demeurant pas été favorables aux Britanniques, rapport de force oblige », écrit Sylvie Bermann.

 

Et puis il y a eu ce génial slogan fourre-tout : ‘Take back control’, reprendre le contrôle. « Le contrôle de quoi, comment ? Peu importe », interroge l’auteur, avant de poursuivre : « Chacun a compris ce qui l’intéressait. Contrôle de leur vie perdue face aux immigrés accusés de leur prendre leur travail, leur place dans les hôpitaux ou celle de leurs enfants dans les écoles, et rejet de la mondialisation incomprise, jugée responsable de cette dépossession et de ce sentiment de déclassement ; contrôle de leur ville où trop de magasins et de pancartes s’affichent dans des langues étrangères, comme la très anglaise ville de Rugby où le seuil de tolérance a été dépassé avec plus de 60% de Polonais ; contrôle de leur pays prétendument aux ordres de fonctionnaires européens non élus. Rêve de refaire le chemin à l’envers pour retrouver le pays de leur jeunesse ou de celle de leurs parents. Le monde d’hier en somme. Comme le chantaient les Beattles : ‘I believe in yesterday…’ ».

 

Avec à la clef un Royaume-Uni plus pauvre qui, nonobstant les ravages de la pandémie sanitaire, va devoir assumer la facture du Brexit, estimée par Bloomberg à plus de 200 milliards de livres, soit presque autant que la contribution totale du pays au budget européen depuis son adhésion en 1973. Un Royaume-Uni qui rêve de « Global Britain », alors que « le commerce bilatéral avec la république d’Irlande est plus important que celui avec la Chine » et que les seuls accords commerciaux qu’il a réussi à négocier jusqu’à présent sont de « simples copier-coller » de ceux que l’Union a conclus avec les mêmes pays, le Japon notamment. « Tout ça pour ça ? », s’exclame Sylvie Bermann qui note toutefois que « le sentiment pro-européen a progressé au Royaume-Uni » et qu’un « sondage réalisé à l’automne 2020 avait fait apparaître une majorité claire de 60% favorable à l’Union européenne ». Cela reste un sondage et ça ne change rien à la dure réalité d’un divorce qui impose aux parties d’apprendre à vivre séparément. Comment ? En tissant de nouveaux liens de coopération, estime l’auteur, qui veut croire que « le ressentiment et l’amertume du divorce une fois dissipés de part et d’autre, il sera de l’intérêt de Londres comme des capitales européennes de bâtir un partenariat multidimensionnel et mutuellement bénéfique ». (Olivier Jehin)

 

Sylvie Bermann. Goodbye Britannia – Le Royaume-Uni au défi du Brexit. Stock. ISBN : 978-2-234- 08449-0.

260 pages. 19,50 €

 

La réussite de l’Europe

 

« L’Europe peut devenir un exemple mondial », écrit Domenico Rossetti di Valdalbero dans cet ouvrage résolument optimiste. Pour ce faire, nous dit l’auteur, qui travaille au sein de la DG Recherche de la Commission européenne, « elle doit démontrer qu’une gestion intelligente du troisième, voire du quatrième âge est souhaitable et bénéfique pour l’économie et la société ». Et de poursuivre : « Elle doit réussir à exploiter sa masse critique de chercheurs en travaillant à l’échelle du continent plutôt que de 27 petits systèmes et à attirer les talents du monde en devenant un ’hub’ mondial de la connaissance. L’Union européenne doit tirer profit de son histoire séculaire de développement urbain en termes de tourisme, mais aussi d’aménagement du territoire, de transports publics et d’espaces de vie, toutes des meilleures pratiques utilement exportables. L’Europe et surtout les Européens doivent prendre conscience que leurs comportements individuels permettent de très largement changer la donne en matière énergétique et environnementale, notamment dans les secteurs des transports et du bâtiment ».

 

« Le monde change vite. Petits et isolés, les États européens pris séparément sont voués au déclin maintenant ou dans un proche avenir. Burinée de liberté et d’égalité, forte et unie, sûre de son identité et confiante, l’Europe pourra faire face aux enjeux des prochaines décennies », affirme l’auteur, qui estime que les Européens doivent relever cinq défis : - « ne pas succomber aux sirènes de l’individualisme forcené », assumer une solidarité de fait, continuer à promouvoir la cohésion économique et sociale et une croissance intelligente, inclusive et durable ; - favoriser l’innovation et le développement technologique ; - repenser l’économie des services à la lumière de l’individual empowerment et de l’économie partagée ; - réduire les inégalités sociales ; - poursuivre les efforts écologiques et le développement de l’économie circulaire.

 

La recherche est évidemment cruciale, y compris pour l’autonomie stratégique et la sécurité européenne, comme le souligne l’auteur. En dépit des programmes-cadres successifs, la recherche demeure toujours trop fragmentée. Elle doit être mieux soutenue, même si la gestion de cette politique européenne par la Commission et les États membres demeure à mon sens beaucoup trop bureaucratique. Domenico Rossetti di Valdalbero ne manque d’ailleurs pas de rappeler le paradoxe européen : « l’Europe produit 30% du total des publications scientifiques (deuxième puissance scientifique mondiale), mais accuse un déficit commercial chronique (de 10 à 20 milliards d’euros par an) pour les produits de haute technologie. Excellente au niveau scientifique, l’UE ne parvient pas à transformer cet atout en performances technologique et industrielle ».

 

« Sans un véritable gouvernement européen et en s’occupant de trop de dossiers à la fois (relance économique, terrorisme, migrations), l’Union n’est pas capable de rassurer les citoyens », estime aussi l’auteur avant d’ajouter : « Aujourd’hui, l’Europe doit se concentrer sur un grand projet européen et montrer clairement son leadership. Pourquoi , par exemple, l’Union ne s’attellerait-elle pas à la santé publique ou à l’énergie ? Le contexte et le timing y sont favorables : pandémie, changements climatiques et questions de sécurité ».

 

Ces morceaux choisis ne donnent qu’une très vague impression du bouillonnement d’idées que recèle cet ouvrage, source d’inspiration pour qui veut que l’Europe réussisse. (OJ)

 

Domenico Rossetti di Valdalbero, La réussite de l’Europe. L’Harmattan. ISBN : 978-2-343-22496-1. 212 pages. 21,50 €.

 

Courts in Evolving Societies

 

Cet ouvrage, qui est le fruit d’un programme de recherche et d’une conférence (organisée à Pékin en mai 2018) associant les universités de Bergen (Norvège), de Renmin à Pékin (Chine) et de Bielefeld (Allemagne), a le mérite d’offrir des points de comparaison entre des systèmes juridiques différents, mais qui rencontrent souvent des problèmes analogues. Il réunit des contributions d’universitaires et d’autres rédigées sur la base de questionnaires adressés à des juges en Chine et dans divers pays européens.

 

Le professeur Ragna Aarli (Université de Bergen) y présente un système juridique chinois très complexe et qui tend à se complexifier davantage dans le contexte du développement économique et technologique continu que connait la Chine. L’un des axes majeurs de réforme du système a été, au cours des dernières années, son adaptation aux nouveaux besoins et litiges liés à l’économie, particulièrement à la société de l’information. Depuis 2017, la Chine a ainsi mis en place des tribunaux online pour traiter des affaires relatives à des violations des droits des personnes ou des droits de propriété sur Internet.

 

Même si les tribunaux populaires, premier rouage du système judiciaire chinois, jouent un rôle important dans la lutte contre la corruption, les juges et les cours souffrent d’un problème de légitimité, explique Madame Aarli, évoquant les reproches qu’ils encourent dans le public en ce qui concerne la faible efficacité des services des tribunaux et la corruption judiciaire.

 

Le système judiciaire chinois est également mis sous pression par l’augmentation continue du nombre d’affaires à traiter. Weidong Chen (Renmin Law School) analyse l’explosion du nombre de litiges en Chine, tout en rappelant que la courbe des procès croît toujours de façon exponentielle avec le développement économique et social. Le nombre d’affaires traitées en première instance dans les tribunaux populaires était de 447 755 en 1978, au lendemain de la révolution culturelle, et a été multiplié par plus de 50 pour atteindre 22 601 567 cas en 2017.

 

Anne Sanders (Université de Bielefeld) et l’ancien juge Reinhard Gaier présentent le système judiciaire allemand tel qu’il a été modifié par la réforme de 2002 et soulignent qu’en dépit d’une bonne réputation et efficacité, il est confronté à un défi majeur : l’adaptation des procédures aux technologies de la communication et l’usage efficace de ces technologies par les tribunaux.

 

L’ouvrage évoque également la situation en Slovénie, où le système judiciaire fait l’objet d’une perception négative dans l’opinion publique, en Suisse ainsi qu’en Angleterre et au Pays de Galles. À noter un article de Vanessa Hellmann (Université de Bielefeld) qui présente, avec brio et non sans humour, les interactions de la Cour constitutionnelle allemande, de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’Homme sous la forme d’un « triangle de l’amour ». (OJ)

 

Ragna Aarli et Anne Sanders (sous la direction de). Courts in Evolving Societies – Sino-European Dialogue between Judges and Academics. Brill/Nijhoff. ISBN : 978-90-04-43815-6. 238 pages. 159,00 €

 

Utilisation des drones armés par des États de l’UE

 

Dans cette note d’analyse, qui relève de la haute voltige, Solène Jomier réussit le tour de force de reconnaître, d’une part, que l’introduction de l’utilisation de drones armés dans certaines armées européennes représente un fait accompli pour les institutions de l’Union européenne (et pour cause, il n’existe pas encore de procédure européenne de validation des politiques nationales d’acquisition) et, d’autre part, de déduire du soutien au développement technologique dans ce domaine et au projet Eurodrone (drone MALE associant Airbus, Dassault et Leonardo) une acceptation tacite de l’utilisation opérationnelle de ces plateformes. Seul le Parlement européen, rebaptisé par Jomier « l’organe législatif de l’UE », bien qu’il ne soit que colégislateur (avec une marge de manœuvre infime dans la défense), trouve grâce aux yeux de l’auteur pour ses appels répétés en faveur d’une politique commune en matière de drones et ses mises en garde contre la prolifération de ceux-ci. Conclusion : « L’UE participe donc à faire émerger un environnement sécuritaire international plus volatile, plus incertain et plus prompt au recours à la force létale ». Bigre ! Et ça se passe sur quelle planète ? (OJ)

 

Solène Jomier. Utilisation des drones armés par des États de l’UE : enjeux politiques, juridiques et éthiques. Note d’analyse du GRIP, 19 mai 2021. La note peut être téléchargée gratuitement sur le site http://www.grip.org

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