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Bulletin Quotidien Europe N° 12745

22 juin 2021
Sommaire Publication complète Par article 32 / 32
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N° 040

La crise de l’abondance

 

La démonstration à laquelle se livre François-Xavier Oliveau dans cet ouvrage n’est rien moins que brillante. Elle souligne à quel point il est urgent de changer notre manière de voir le monde et de mieux gérer les ressources dont nous disposons.

 

Tout part d’un constat : « Nos économies ont la capacité de produire largement assez de nourriture, d’hébergement, d’énergie, de moyens de déplacement ou de communication pour 100% de la population mondiale. Cela rend d’autant plus scandaleux et insupportable que beaucoup n’y aient toujours pas accès ». Nous vivons dans l’abondance et ceux qui manquent pourraient en profiter autant que nous, ce qui garantirait la paix et le bien-être, mais nous restons bloqués par des schémas de pensée fondés sur la rareté, sources de confrontations et de guerre. Ce qu’il nous faut aujourd’hui, c’est apprendre à gérer l’abondance et à en réguler les excès et les conséquences néfastes. « L’abondance elle-même est à la source de nos crises. Autrefois, nous mourions de faim. Aujourd’hui, dans le monde, on meurt trois fois plus d’obésité que de malnutrition. (…) Autrefois, nous mourions de froid. Aujourd’hui, nous produisons, roulons, volons, chauffons, bref nous dépensons une énergie folle, au point de réchauffer la planète. (…) Autrefois, nous ne possédions pas grand-chose. Aujourd’hui, nos déchets polluent l’atmosphère, les sols, les forêts, les rivières et les océans. (…) Autrefois, nous nous battions pour un or rare. Aujourd’hui, les marchés financiers croulent sous les liquidités. Elles font monter à l’infini la valeur des biens immobiliers et des actions, creusent les inégalités de patrimoine, pénalisent l’accès à la propriété », écrit Oliveau.

 

Parmi les crises de l’abondance, il y a celle qui frappe notre écosystème. D’aucuns voudraient la régler par la décroissance, mais celle-ci ne peut être une solution à l’échelle de la planète, estime l’auteur qui explique : « Les pays émergents n’ont pas encore terminé leur route vers l’abondance et n’ont aucune intention de renoncer à leur futur niveau de confort. Que les pays riches le leur réclament serait tout à la fois injuste et irréaliste. Si on peut décider de vivre soi-même dans la frugalité et la promouvoir, compter sur une décroissance planétaire serait déraisonnable, pour ne pas dire totalement illusoire, à moins de vouloir mettre en place une peu souhaitable dictature verte mondiale ». En lieu et place, l’auteur préconise le découplage, c’est-à-dire maintenir l’abondance en utilisant moins de matières premières, moins d’énergie et moins de CO2. Il rappelle que nous avons déjà entamé ce processus, mais constate qu’il demeure beaucoup trop lent. « Historiquement, les entreprises ont payé pour avoir accès à du capital, elles ont payé pour avoir accès au travail. Mais elles n’ont pas payé les ressources et ont pu les exploiter sans limites en abîmant la nature. Cette gratuité de la nature a longtemps été une chance et un moteur de l’abondance. Mais nous devons désormais la voir comme un défaut majeur de l’économie de marché, à corriger absolument pour régler notre crise de l’environnement. À notre abondance destructrice, nous devons substituer une abondance soutenable », poursuit l’auteur, qui préconise de facturer la pollution à taxation totale constante et au moyen d’une taxe carbone uniforme.

 

François-Xavier Oliveau consacre aussi une large place à l’endettement des États, aux taux négatifs « qui sont une insulte au bon sens » et aux injections de liquidités par les banques centrales qui ne cessent d’augmenter la masse monétaire en circulation, sans parvenir à atteindre la cible d’inflation fixée du fait de la pression à la baisse des prix, liée à l’abondance de produits de consommation, entretenue par les progrès technologiques. Cette création de monnaie n’a en revanche de cesse d’accroître les inégalités en augmentant les prix des actions et de l’immobilier et en opérant un transfert de richesse au profit de ceux qui empruntent. Pour corriger ce phénomène, l’auteur préconise le versement à chaque personne, adulte et enfant, par la Banque centrale européenne d’un « dividende monétaire » de l’ordre de 50 à 100 euros par mois, afin d’atteindre la cible de 2% d’inflation. Un revenu universel, versé par chaque État membre (il évoque pour commencer un montant de 500 euros, dans le cas de la France), viendrait amortir les chocs majeurs qui se profilent à l’horizon avec le développement de la robotisation et de l’intelligence artificielle en offrant à tous un complément de revenu. Diverses expérimentations ont souligné les avantages d’une telle prestation qui supprime toutes les formes de stigmatisation, entraîne des améliorations dans l’accès aux soins, à l’éducation et à la formation et permet de combiner plusieurs types d’activités. À lire absolument. (Olivier Jehin)

 

François-Xavier Oliveau. La crise de l’abondance. Éditions de l’Observatoire. ISBN : 979-10-329- 0999-7. 318 pages. 20,00 €

 

La saga du Brexit

 

Dans ce bref essai d’une grande clarté, l’ancien diplomate et membre du directoire de la Banque Nationale suisse, Jean Zwahlen, rappelle les grandes étapes du Brexit et en tire des leçons pour la relation future de la Suisse avec l’Union européenne, qui reste son « partenaire le plus fiable ».

 

Dans ce qui s’apparente à un véritable plaidoyer en faveur de l’Accord institutionnel entre la Suisse et l’UE, Zwahlen estime que Boris Johnson a fait deux erreurs d’appréciation. Alors qu’il s’est « lancé avec bravade dans la négociation en se vantant d’avoir de bien meilleures cartes qui lui assuraient un très bon Accord, il a fait l’amère expérience que l’UE avait aussi de bonnes cartes qui lui ont permis de défendre avec succès ses intérêts tout en restant unie ». Le même Johnson « n’a pas suffisamment tenu compte de la différence de poids et de dépendance des deux partenaires » et la situation de la Suisse est encore moins favorable, puisque celle-ci dépend de l’UE à hauteur de 47% pour ses exportations et de 65% pour ses importations. L’auteur rappelle aussi que la Suisse est encerclée par l’UE et que « la constellation géopolitique évolue défavorablement pour la Suisse ». Et d’expliquer : « En tant que petit pays, très dépendant du bon fonctionnement de l’ordre multilatéral et de ses règles de droit, nous sommes devenus vulnérables du fait de l’affaiblissement de cet ordre et de l’émergence de grandes puissances prédatrices ». « Même si, en l’état, l’UE n’est pas une vraie grande puissance, elle s’efforce d’y parvenir en renforçant notablement la collaboration de ses membres dans les domaines stratégiques pour se donner aussi davantage d’autonomie », note Jean Zwahlen qui affirme : « Notre intérêt est qu’elle y parvienne, car c’est avec elle que nous avons le plus d’affinités politico-sociales et les liens économiques les plus étroits ».

 

« Utiliser le concept de souveraineté, tel que cela a été fait ad nauseam par les partisans du Brexit, est un anachronisme, car, au XXIe siècle, il n’y a plus dans les relations internationales de souveraineté au sens traditionnel du terme (…) Le fait du prince a vécu. Désormais il faut parler de pouvoir ou de puissance et non plus de souveraineté », observe l’auteur, qui ajoute : « Il est donc abusif, voire fallacieux de prétendre – comme Boris Johnson l’a dit – que le Royaume-Uni a recouvré sa souveraineté an quittant l’UE. Tout au plus a-t-il retrouvé une certaine autonomie qui risque bien, selon les circonstances, de lui donner moins de pouvoir et de puissance ». Zwahlen note ainsi que : - « seul, le Royaume-Uni n’arrivera vraisemblablement pas à conclure des accords aussi favorables que ceux auxquels il était associé comme membre de l’UE » ; - « il ne participera plus aux processus de définition des normes régissant le commerce. Il sera donc déclassé dans la concurrence que se livrent les pays pour attirer les investissements » ; - il « risque aussi de ne plus pouvoir participer aux réflexions de l’UE sur les nouveaux domaines de coopération internationale : digitalisation, cybersécurité, gouvernance d’internet, règlementation des GAFA, sécurité énergétique, lutte contre le terrorisme… »

 

Il est regrettable que le Conseil fédéral ait négligé cet avertissement. Le 26 mai dernier, en refusant de signer l’Accord institutionnel, il n’a mis dans l’embarras que la Suisse. Et son souhait d’engager « un dialogue politique avec l’UE portant sur la suite de la coopération » parait bien dérisoire face aux enjeux actuels. (OJ)

 

Jean Zwahlen. La saga du Brexit – Quelques pistes de réflexion pour l’accord institutionnel entre la Suisse et l’Union européenne. Fondation Jean Monnet. Débats et Documents, numéro 20, avril 2021. ISSN 2296-7710. 31 pages. Le texte peut être téléchargé gratuitement sur le site de la fondation (http://www.jean-monnet.ch )

 

The EU and China: Sanctions, Signals, and Interests

 

Tout en reconnaissant que les sanctions sont toujours légitimes, du fait de l’universalité des droits de l’Homme, Sven Biscop interroge leur opportunité et leur efficacité face à la Chine. Les sanctions liées à la situation des Ouïghours au Xinjiang ont eu pour seul effet d’entraîner des mesures de représailles chinoises totalement disproportionnées. Pour l’auteur, face à un régime autoritaire, les changements souhaités pourraient souvent être plus rapidement obtenus par l’adoption d’une règlementation générale qui évite de stigmatiser le régime, mais lui impose un coût potentiel. Une interdiction générale d’accès au marché européen pour les produits issus du travail forcé conduirait vraisemblablement la Chine à modifier ses processus de production et conditions de travail pour ne pas perdre de parts de marché. Sven estime aussi que les sanctions réellement efficaces devraient être réservées à la protection des intérêts vitaux de l’Union ou la sécurité et la paix à l’échelle internationale. (OJ)

 

Sven Biscop. The EU and China: Sanctions, Signals, and Interests. Egmont. Security Policy Brief, numéro 145, mai 2021. 4 pages. Le texte peut être téléchargé gratuitement sur le site de l’institut (http://www.egmontinstitute.be )

 

Du rôle de l’UE dans les exportations d’armes

 

Dans ce rapport du GRIP, les auteurs estiment que « malgré d’indéniables progrès dans l’encadrement de l’analyse des risques associés aux exportations (d’armes), les déchirements européens à propos des exportations vers l’Arabie saoudite ou les autres pays du Golfe impliqués dans la guerre au Yémen illustrent les limites actuelles en matière de convergence et d’application du droit international ». La position commune de 2008 « ne doit pas pour autant être considérée comme un échec total », selon eux. Et d’expliquer : « Sans elle, la cacophonie entre les pratiques des États membres aurait été probablement bien plus grande. De plus, l’UE a su porter la position commune sur la scène internationale pour qu’elle devienne l’un des piliers des dispositions du Traité sur le commerce des armes (TCA) ».

 

Alors, comment renforcer la convergence et le contrôle des exportations ? Une première option, de nature communautaire, verrait l’Union acquérir dans le futur davantage de responsabilités en matière d’exportation d’armes, en s’inspirant de celles dont elle dispose dans le secteur du double usage, du moins pour les équipements produits avec le concours du Fonds européen de défense ou transférés en recourant à la Facilité européenne pour la paix. Concrètement, l’UE pourrait adopter un règlement qui intégrerait les huit critères de l’actuelle position commune, de façon à ce que leur respect puisse être soumis au contrôle de la Commission et, en cas de litige, à la juridiction de la Cour de justice de l’UE. Les États membres pourraient continuer à déroger au droit européen en invoquant leurs intérêts essentiels en matière de sécurité sur la base de l’article 346 TFUE. « Toutefois, affirment les auteurs, l’article 346 ne pourrait pas être utilisé comme un passe-partout permettant aux États membres de piétiner systématiquement les règles communes. La CJUE a bien précisé dans plusieurs arrêts que le recours à cet article ne peut intervenir que face à des situations exceptionnelles et dûment justifiées ».

 

Les auteurs reconnaissent néanmoins que l’option communautaire se heurte toujours à l’heure actuelle à l’opposition plus ou moins marquée de plusieurs États membres. Ils suggèrent donc de profiter du débat sur la ‘Boussole stratégique’ pour engager les États membres à mieux identifier « les circonstances dans lesquelles les exportations d’armes pourraient contribuer à déstabiliser une région, à se poser contre les intérêts de l’Union ou même à créer une menace pour un État membre ». « La Boussole pourrait en outre demander explicitement aux pays qui s’apprêtent à examiner une licence de prendre en compte les intérêts de l’Union dans son ensemble, plutôt que leur seul et unique intérêt national. La notion d’‘EU first’ pourrait y être développée : les pays qui entretiennent des litiges territoriaux avec un ou plusieurs États membres de l’UE ou menacent leur intégrité territoriale ne devraient pouvoir bénéficier d’aucune vente d’armement qui leur ferait atteindre une parité ou une supériorité militaire matérielle », estiment les auteurs, qui ajoutent : « La récente vente de sous-marins allemands à la Turquie alors que ce pays violait la souveraineté maritime de la Grèce et de Chypre, deux pays membres de l’Union, constitue le cas de figure emblématique de ce que l’UE devrait être en mesure d’éviter à l’avenir ».

 

Paru à quelques jours d’intervalle, un autre article de Kyriakos Revelas souligne que « le cas de la Turquie montre les inconsistances d’une politique d’exportation d’armes reposant sur des procédures de décision fragmentées, avec en ligne de mire les intérêts industriels et sans perspective stratégique ». L’attitude de l’Allemagne, mais aussi de l’Italie et de l’Espagne, dont la Turquie est respectivement le 1er et le 2e client pour l’armement, est d’autant plus inacceptable qu’il existe des précédents dans lesquels d’autres États membres ont manifesté leur solidarité en interrompant des livraisons à des pays tiers. En 1982, la France et l’Allemagne ont approuvé un embargo à destination de l’Argentine à la demande du Royaume-Uni, lors du conflit des Malouines et, en 2014, la France a renoncé à livrer deux porte-hélicoptères Mistral à la Russie à la demande de la Pologne et des pays baltes. (OJ)

 

Maria Camello, Léo Géhin, Federico Santopinto. Comment renforcer le rôle de l’UE dans les exportations d’armes. GRIP. Rapport 2021/1. ISSN 2466-7710. 25 pages. Le texte peut être téléchargé gratuitement sur le site du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (http://www.grip.org )

 

Kyriakos Revelas. EU arms export policy: achievements and current challenges. Centre international de formation européenne. Policy Paper No. 116. May 2021. 5 pages. Le texte peut être téléchargé gratuitement sur le site du CIFE (http://www.cife.eu )

 

Extreemrechts

 

On ne peut pas toujours se fier à la couverture d’un livre. Orné d’un beau crapaud et intrigant avec son sous-titre « L’histoire ne se répète pas (de la même manière) », l’ouvrage de l’historien Vincent Scheltiens et du syndicaliste (ABVV, équivalent flamand de la FGTB) Bruno Verlaeckt laissait présager un traitement original de l’extrême droite. Les auteurs nous brossent une histoire brève, mais percutante, des extrêmes droites européennes depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, en soulignant les éléments de convergence entre les différentes composantes d’une mouvance qui comprend aussi bien des partis établis, à l’image du Rassemblement national en France ou du Vlaams Belang en Flandre, que des associations et des groupuscules divers, dont certains ouvertement néonazis. On regrettera cependant que le parti pris très militant des auteurs les conduise à nier la crise d’identité qui traverse une large partie des sociétés européennes ou encore à minorer le rôle de ce que l’on qualifie d’« Islam politique » dans la fragmentation du corps social et le développement de formes d’islamophobie. (OJ)

 

Vincent Scheltiens et Bruno Verlaeckt. Extreemrechts – De geschiedenis herhaalt zich niet (op dezelfde manier). Academic & Scientific Publishers. ISBN : 978-9-4611-7112-2. 139 pages. 18,50 €

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