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Bulletin Quotidien Europe N° 12628

5 janvier 2021
Sommaire Publication complète Par article 27 / 27
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N° 028

L’Europe n’est pas un lieu

 

Qu’est-ce que l’Europe ? Par touches impressionnistes, en nous promenant au Danemark autant qu’en Italie, le romancier et essayiste danois Jens Christian Grøndahl nous apporte une réponse à cette question, sans jamais nous donner l’impression qu’il en ait formé le projet. Sa réponse apparaît en filigrane derrière les lieux, les personnalités, les vécus et les œuvres qui jalonnent cet essai. Un texte presque décousu, dont les variations font néanmoins la richesse, jusqu’à traduire une unité - à l’image d’une Europe - toute en nuances et contradictions.

 

Le tableau qu’il brosse de l’Europe est sans complaisance : « Décennie après décennie, une culture de divertissement flatteuse et sans opposition est devenue la caisse de résonance mentale de la société de consommation et la moindre expression de critique culturelle est balayée comme jugement de goût élitiste. Tant que l’Europe de l’Est subsistait avec son absence de liberté et ses carences, l’Europe de l’Ouest pouvait apparaître comme la fête étincelante et bruyante à laquelle tout le monde rêvait de participer. Une fois le Mur tombé et une fois l’euphorie retombée, il est devenu clair qu’il nous manquait également quelque chose, nous qui avions tout. Le retour de la barbarie dans les Balkans a montré notre paralysie morale. La tragédie en Méditerranée de ces dernières années l’expose à nouveau. La crise financière a failli détruire la monnaie commune et le continent s’est brisé en son milieu, cette fois-ci entre le Sud catholique ‘irresponsable’ et le Nord protestant où l’on règle ses dépenses sur ses recettes. ‘L’Europe’ ressemble à une promesse que nous n’aurions jamais dû nous faire, parce que nous trouvons sans cesse de nouvelles raisons de ne pas la tenir ».

 

« À l’origine, l’Europe n’est pas un lieu, elle doit être un lieu de rencontre. Une rencontre qui se produit partout où les contradictions s’éclairent mutuellement, sans l’illusion de fusionner un jour. L’amour d’un taureau et la nostalgie d’une femme, une foi dans le destin et une foi dans la résurrection de la chair, un abandon à la beauté et une volonté de liberté et de responsabilité », énonce Grøndahl, qui ajoute : « l’Europe n’est même pas la devise qui coiffe une liste de ‘valeurs’. Car ce qui est le plus européen en nous, n’est-ce pas le fait de nous permettre d’être en désaccord sur ce qui est de la plus haute valeur et le plus précieux ? »

 

Jens Christian Grøndahl consacre aussi de belles pages à l’écriture : « Écrire peut être le moyen de remplir le vide, de réchauffer la langue jusqu’à la température qui, à notre avis, fait défaut au monde. Une chaleur, une présence qui est également synonyme de contact et de libération de l’isolation existentielle du moi ». Et l’écriture est d’autant plus présente dans cet essai que l’auteur convoque tour à tour Ole Wivel et Karen Blixen, Schiller et Kant, Sartre et Camus pour s’interroger sur la responsabilité des auteurs et des artistes. (Olivier Jehin)

 

Jens Christian Grøndahl. Traduit du danois par Alain Gnaedig. L’Europe n’est pas un lieu. Arcades Gallimard. ISBN : 978-2-07-287114-6. 190 pages. 18,00 €

 

Comment peut-on être Européen ?

 

Le philosophe Jean-Marc Ferry ne croit pas en un grand soir fédéraliste. Avec cet ouvrage, il suggère de réconcilier les citoyens et l’Europe en redéfinissant la finalité du projet européen et en renforçant la coopération horizontale et la coordination entre les États membres.

 

Ferry n’est pas tendre dans sa critique des rigidités imposées par l’union monétaire et il ne l’est pas davantage lorsqu’il décrit l’état de l’Europe : « Au lieu de viser, suivant la formule consacrée, une ‘union toujours plus étroite entre les peuples d’Europe’, la réalité de ce projet, à considérer le processus factuel, consiste à relayer une globalisation où pointe la subversion des États par les marchés, du politique par l’économique, du public par le privé ». L’Europe fait face à une « crise de la civilité » qui affecte les grandes villes et qu’accompagnent un déficit d’intégration sociale, un taux élevé de délinquance, de chômage et de pauvreté, une extension des emplois précaires et à court terme. Cette crise est aggravée par un recul quantitatif et qualitatif des services publics et sociaux de proximité ainsi que des transports en commun, une raréfaction des petits commerces et artisanats, essentiels à la vie des quartiers et à l’entretien du lien social. S’y ajoute une « crise de la légalité » (perte de puissance du droit, récidive, impunité pénale, encombrement des tribunaux et inadaptation du système pénitentiaire) aggravée par une obsession du législateur à accumuler les règles. « La compulsion réglementaire et législative, parfois favorisée par des arrêts de justice allant, en France, jusqu’à l’indécence à l’encontre du bon sens, conspire à un système de la défiance, insinuant que la perte de responsabilité civique serait un fait accompli. Sur cet implicite, l’appareil politico-administratif se reproduit comme une machine à secréter en continu les normes censées réguler le vivre-ensemble ou encore à garantir l’innocuité des produits marchands », dénonce à juste titre l’auteur. Enfin, une « crise de la publicité » trahit « une carence de décentration et une désublimation des intérêts ». « À la segmentation marketing de l’espace médiatique correspond une soumission des agendas, y compris ceux des news, au supposé désir du public, en même temps qu’une focalisation sur le local et l’intime. La spontanéité de l’affectif est valorisée au point de détenir le primat auprès de l’opinion quant à ce qui mérite ses suffrages. Le Juste est éclipsé par le Bon, tant il semble évident de s’indigner d’abord de ce qui frustre les désirs ou blesse les ego, plutôt que de ce qui porte atteinte aux libertés. D’où la dérive répressive d’un penser politiquement correct et de la censure correspondante qui dénote une dégénérescence de la raison publique, d’autant plus pernicieuse qu’elle se pare de bonne conscience et fonctionne sur les registres de l’intimidation », souligne Ferry avant de compléter sa radioscopie en y ajoutant « un risque de dislocation de la société politique (…) par une communautarisation de l’espace national ».

 

L’auteur développe ensuite quatre thèses pour une philosophie de l’Europe : (1) « la question princeps pour l’édification d’une Europe unie est l’intégration selon sa propre devise : unie dans la diversité » ; (2) « l’intégration européenne ne doit pas être une simple affaire d’ingénierie (grand marché, monnaie unique). À l’intégration systémique doit faire pendant une intégration civique, proprement politique » ; (3) « contre le souverainisme national exclusiviste, l’horizon reste l’union politique, mais l’intégration européenne sera post-étatique. Il ne saurait y avoir de souveraineté européenne légitime que par co-souveraineté des États membres de l’Union » ; (4) « contre le fédéralisme supranational, la ‘souveraineté européenne’ doit résulter d’un partage engagé sur la voie horizontale de la concertation des États membres et de la coordination de leurs politiques publiques, non d’un transfert vertical revenant à une confiscation des souverainetés nationales par subordination à une puissance supranationale ».

 

Dans son modèle de « co-souveraineté », Jean-Marc Ferry propose de « déverrouiller la zone euro » en instaurant une coordination intelligente des politiques budgétaires, les États structurellement excédentaires devant consentir à un déficit calculé de leurs budgets publics afin que leur relance interne permette aux États déficitaires de poursuivre leur rééquilibrage financier. Un président de l’Union, à la désignation tarabiscotée (chaque parlement ou congrès national désignerait un candidat. Sur ces 27 candidats (ou plus), le Parlement européen en sélectionnerait dix, le dernier mot revenant au Conseil européen, qui nommerait le président parmi ces dix), serait chargé de faire aux chefs d’État ou de gouvernement des propositions en matière de coordination budgétaire, de cadres budgétaires pluriannuels et, avec le président de la BCE, d’orientations de politique monétaire. L’auteur préconise enfin de renforcer la participation des parlements nationaux, mais aussi du Comité économique et social européen et du Comité des régions, au processus décisionnel de l’Union. (OJ)

 

Jean-Marc Ferry. Comment peut-on être Européen ? Éléments pour une philosophie de l’Europe. Calman Levy. ISBN : 978-2-7021-6694-9. 270 pages. 19,50 €

 

La bibliothèque du jeune Européen

 

« La transmission est en crise : non seulement la transmission des grands auteurs et des grandes œuvres, mais aussi la transmission de la capacité même à penser. Le malaise qui en résulte est patent, et au cœur de la crise identitaire qui saisit aujourd’hui l’Europe : comment affronter sereinement l’avenir quand les récits fondateurs et l’histoire ont été oubliés, que les cadres de pensée ont été déconstruits ? », écrivent en introduction de cet ouvrage collectif Alain de Benoist et Guillaume Travers, avant d’en résumer l’ambition : « Contribuer à cette transmission par une sélection de 200 ouvrages qui nous semblent les plus marquants dans l’histoire des idées ».

 

En soi, l’exercice est louable et le choix d’une présentation d’un auteur et de l’une de ces œuvres, assorti d’une notice bibliographique, le tout tenant sur deux à trois pages, rend le résultat à la fois digeste et pratique. La langue est claire et nombre de grands auteurs et d’œuvres majeures figurent à ce catalogue qui promet de belles découvertes au néophyte. Avant de s’y aventurer, un avertissement s’impose, toutefois, car, si tout choix est arbitraire, cette sélection d’ouvrages est celle du principal théoricien de la « nouvelle droite » et de ses amis. Sans vraiment déséquilibrer l’ensemble, elle offre une place non négligeable à des auteurs souvent rejetés en raison de leurs affinités avec le nazisme, le fascisme ou l’extrême droite.

 

Le chapitre « Unité et diversité de l’Europe » fait la part belle à la diversité et, si l’on comprend aisément la présence de Denis de Rougemont, celles de Boulainvilliers ou encore de Maurras sont pour le moins curieuses. Nulle trace en revanche d’auteurs qui ont contribué à la réflexion sur l’unité européenne, comme Georges de Podebrady, Érasme, l’abbé de Saint-Pierre, Althusius, Saint-Simon et bien d’autres. Le chapitre « Penser le sacré » est lui aussi biaisé, écartant tous les auteurs majeurs du christianisme et du judaïsme au profit d’un panel de critiques, au premier rang desquels Celse et Julien l’Apostat. L’histoire, les récits fondateurs, les idées et les débats méritent une meilleure transmission, mais celle-ci doit reposer sur une approche plus objective et cette bibliothèque, en dépit de certaines qualités, n’est pas, comme le prétend la quatrième de couverture, « la meilleure porte d’entrée pour accéder au patrimoine intellectuel de notre continent ». (OJ)

 

Alain de Benoist et Guillaume Travers (sous la direction de). La bibliothèque du jeune Européen – 200 essais pour apprendre à penser. Éditions du Rocher. ISBN : 978-2-2681-0441-6. 667 pages. 22,90 €

 

Politics of Stigmatization

 

À partir du cas de la Pologne, qu’elle connaît bien puisqu’elle est elle-même une diplomate polonaise, en poste en Islande au moment de la parution de son ouvrage, Molly Krasnodebska décrit la stigmatisation (subie et/ou ressentie) par son pays comme nouvel État membre de l’Union européenne, notamment à la lumière des crises de 2003 (Irak), 2008 (guerre russo-géorgienne) et 2013 (Ukraine). Elle observe que le gouvernement polonais a cherché à répondre à ce phénomène, selon les moments, en faisant des efforts d’adaptation pour obtenir une reconnaissance ou en contestant les règles que les anciens États membres essayaient de lui imposer. L’auteur cherche à en tirer quelques enseignements généraux sur la manière dont la stigmatisation et la lutte pour la reconnaissance influencent les dynamiques internationales. (OJ)

 

Molly Krasnodebska. Politics of Stigmatization – Poland as a ‘Latecomer’ in the European Union. Palgrave Macmillan. ISBN : 978-3-030-51520-1. 248 pages. 93,59 €

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