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Bulletin Quotidien Europe N° 12554

8 septembre 2020
Sommaire Publication complète Par article 31 / 31
Kiosque / Kiosque
N° 020

Est-ce déjà demain ?

Au travers de ce petit livre, le politologue bulgare Ivan Kratsev analyse le phénomène inédit que représente le Covid-19 en s’intéressant plus particulièrement à l’Europe, où son impact politique sera, selon lui, le plus fort, parce que « la pandémie met au défi les fondements mêmes du projet européen – et notamment le principe d’interdépendance, qui garantit de la façon la plus solide sécurité et prospérité ». Et l’auteur de poursuivre : « Voilà pourquoi je considère que l’Union européenne ne sera pas la même après la crise. Elle pourrait se désintégrer, se transformer en une version contemporaine du Saint-Empire romain germanique – une union qui n’en aurait que le nom - ou parvenir, au contraire, à une autonomie stratégique. L’Union européenne a toujours été l’enfant chéri de la mondialisation, mais c’est la menace de la démondialisation qui pourrait la rendre plus solide et plus intégrée encore. Une chose est sûre : ce n’est pas là une crise dont elle pourra se relever facilement ».

L’auteur ne partage pas les craintes de ceux qui voient le national-populisme et le repli sur soi prospérer sur la fermeture temporaire des frontières. Pour lui, « assimiler la pandémie actuelle à la crise migratoire de 2015, c’est s’interdire d’en comprendre deux aspects. Le premier est que la politique de distanciation sociale, si elle donne des pouvoirs extraordinaires aux États, renforce aussi les collectivités locales et les identités régionales. Le second est que la fermeture des frontières européennes pourrait bien mettre au jour les limites du nationalisme. À l’heure où l’inquiétude économique domine le débat public, les Européens vont probablement réaliser qu’au contraire de ce qui s’est passé au 19e siècle, le nationalisme est une impasse sur le plan économique. Certes, les États-Unis et la Chine peuvent chacun entretenir l’illusion de leur autosuffisance et l’Union européenne pourrait aussi bénéficier d’une prudente « démondialisation », mais les petites nations européennes ne sauraient tabler sur un nationalisme économique. Les Européens vont bientôt comprendre que la seule protection dont ils disposent est le type très particulier de protectionnisme que leur offre leur association avec le reste du continent ».

Cette nouvelle crise n’en a pas moins un impact social et économique considérable, avec une forte implication intergénérationnelle : « Dans les débats sur les risques soulevés par le changement climatique, les plus jeunes ont reproché à leurs parents de ne pas avoir pensé à l’avenir. Le coronavirus inverse cette dynamique : les membres les plus âgés de la société sont désormais les plus vulnérables et ce sont les réticences des plus jeunes à changer leur mode de vie qui les menacent. Si la crise devait s’éterniser, ce conflit intergénérationnel s’intensifierait ». D’autant que « si le Covid-19 s’avère incomparablement plus dangereux pour les personnes âgées, c’est la jeune génération qui aura le plus à souffrir des effets économiques de la pandémie ». Les « millenials » du sud de l’Europe auront connu, « avant l’âge de 35 ans, deux crises majeures », souligne Kratsev, qui rappelle que 40% des jeunes Italiens et la moitié des jeunes Espagnols étaient au chômage au milieu de la dernière décennie.

Sa réflexion sur l’impact du coronavirus conduit l’auteur à identifier sept paradoxes : (1) le Covid-19 expose au grand jour la face sombre de la mondialisation, mais agit aussi comme un vecteur de mondialisation ; (2) il accélère la tendance à la démondialisation, mais révèle les limites de la renationalisation ; (3) la peur du virus a, dans un premier temps, renforcé un sentiment d’unité nationale, mais les divisions sociales et politiques devraient s’aggraver à terme ; (4) le virus a mis la démocratie à l’arrêt, mais, ce faisant, il a limité le désir d’autoritarisme ; (5) alors que l’Union européenne a brillé par son absence au début de la crise, la pandémie pourrait menacer son avenir comme aucune autre crise : « Elle risque de verser dans le fossé de l’inutilité » ; (6) la pandémie a certes fait resurgir les fantômes des trois dernières grandes crises qui ont ébranlé l’Europe, mais sans que les scénarios antérieurs ne se reproduisent ; elle a ainsi permis une mutualisation des dettes et un assouplissement des contraintes budgétaires pesant sur les États, qui étaient impensables auparavant ; (7) « alors que le retour à une logique nationale était la réponse inévitable à une crise de cette ampleur, une Europe unie et des institutions bruxelloises investies de pouvoirs supplémentaires en cas d’urgence pourraient bien se révéler, dans un monde manquant d’un leadership américain et scindé par la rivalité sino-américaine, la seule solution réaliste lorsqu’il s’agira de se confronter à la phase suivante de la crise » est de se préparer, mais c’est moi qui l’ajoute, à affronter une autre crise majeure quelle qu’en soit la nature.

Olivier Jehin

 

Ivan Kratsev. Est-ce déjà demain ? Le monde paradoxal de l’après-Covid-19. Premier Parallèle. ISBN : 978-2-85061-054-7. 118 pages. 12,00 €

 

Elf Europese stemmen

Onze voix, ou plutôt douze en réalité, selon mon comptage, offrent, dans ce petit ouvrage aussi agréable à lire qu’intéressant, une riche palette d’opinions et d’analyses concernant l’Europe et les défis qu’elle doit affronter. Tantôt sous une forme indirecte, plus souvent sous celle d’un entretien déjà publié en 2019, ces textes nous font traverser le continent et ses problématiques telles qu’elles sont perçues par douze Européens de sensibilités et d’origines différentes, les uns très connus, les autres beaucoup moins.

L’ouvrage s’inscrit dans le prolongement du travail du journaliste néerlandais Geert Mak avec « Grote verwachtingen », déjà évoqué dans le n° 9 de Kiosque paru le 12 novembre 2019, et en est un complément intégrant la crise du coronavirus. Il permet à Mak de corriger l’impression, à mon sens fausse, laissée par son ouvrage auprès de certains lecteurs et commentateurs. D’aucuns, notamment en Belgique, avaient cru percevoir une forme d’euroscepticisme là où, bien souvent, il n’y avait que des critiques parfaitement justifiées du fonctionnement institutionnel de l’Union. « Pour survivre dans le 21e siècle en tant que Pays-Bas, Belgique ou France, nous avons besoin de le faire ensemble. Simplement pour survivre. Aussi pour affronter le problème du climat. Et surtout pour assurer notre indépendance face à des puissances comme la Russie, l’Amérique et la Chine. Nous sommes joués les uns contre les autres, sans pitié. Si nous nous divisons, nous deviendrons, comme le disent si joliment les Flamands, ‘un oisillon pour le chat’ », souligne le journaliste, qui trouve néanmoins de nouvelles raisons d’espérer aujourd’hui. Lors de la crise du coronavirus, l’Union européenne a été plus réactive que jamais, souligne Mak, qui condamne l’attitude du ministre néerlandais des Finances, Wopke Hoekstra, incapable de comprendre l’urgence de la situation (« Hoekstra semble avoir dans sa tête un terrain de jeu qui va de Nijkerk à Gorredijk, alors qu’en réalité il a affaire à la politique européenne et agit devant l’opinion publique européenne », note Mak), comme celle du Premier ministre, Mark Rutte, qui choisit d’offenser ses partenaires en arrivant au Conseil européen avec une biographie de Chopin. « Les Néerlandais confondent grossièreté avec franchise. C’est une maladie néerlandaise », ajoute le journaliste, qui déplore une attitude qui n’a fait que creuser le fossé de défiance entre le Sud et le Nord de l’Europe, même si l’Union a finalement réussi à adopter un Plan de relance conséquent.

Violente, mais non moins juste, est la critique portée par le politologue belge Jonathan Holslag à l’encontre des institutions et des États membres de l’Union européenne. Ce dernier dénonce ainsi une politique extérieure à courte vue adossée à une « mentalité de bordel », les États membres étant prêts à toutes les compromissions pour préserver de petits intérêts immédiats. Quant à l’acquisition du chasseur américain F-35, elle ne fait que souligner la faiblesse des Européens, incapables de construire un tel appareil. « J’ai appelé cela ‘le moment de la poudre de l’Europe’. Comme les Chinois qui, dans le passé, n’ont pas compris l’intérêt de la poudre, nous ne tenons aujourd’hui que trop peu compte des révolutions technologiques en cours », constate Holslag, également très critique à l’égard de la politique européenne de la concurrence : « Notre grande faiblesse à nous, Européens, vient du fait que nous voulons être plus romains que le pape. Avec en interne une lutte très agressive contre les cartels, pour briser les grands groupes industriels, alors que nous permettons aux Américains et aux Chinois de pénétrer notre marché avec des entreprises qui ont des quasi-monopoles ». Le politologue dénonce aussi les nationalistes et populistes, à l’instar du hongrois Orbán, qui « se présente comme le protecteur de l’Europe chrétienne, qui, pour lui, n’est en fait qu’une grosse vache à subventions. (…) Il attaque Bruxelles, mais, en même temps, il fait de son pays une place ouverte où oligarques russes et chinois peuvent venir se servir ». Quant à Boris Johnson, il veut se réapproprier son pays, mais il conduit à l’égard de l’Arabie Saoudite « la politique de la porte ouverte la plus éhontée que l’on puisse imaginer ». « Il chante les louanges du prince saoudien Bin Salaman juste pour s’assurer d’obtenir un investissement de 60 milliards dans la City de Londres », déplore Holslag, avant d’ajouter : « Les nationalistes font de leurs pays un bordel, de façon bien pire que les politiciens pragmatiques des quarante dernières années ».

Chacune des dix autres voix présentes dans cette compilation mérite d’être entendue, mais il serait trop long de vouloir les citer toutes. On y croise notamment : - le journaliste français Guillaume Dasquié, qui évoque le terrorisme ; - le dissident russe Vitali Manski, qui parle de la liberté de la presse en Russie ; - l’ancienne députée européenne Eva Joly, qui revient sur la crise bancaire en Islande et salue les progrès accomplis par l’UE dans la lutte contre la criminalité financière ainsi que dans la protection des lanceurs d’alerte ; - l’artiste activiste allemande Jennifer Rooch Naiobis (Extinction Rebellion) sur le climat ; - le régisseur polonais Michal Zadara évoquant l’antisémitisme en Pologne ; - et la volontaire allemande Mattea Weihe, qui évoque les réfugiés et son expérience à bord des navires de l’organisation Sea Watch en Méditerranée. (O.J.)

 

Nicoline Baartman, Colin van Heezik, Geert Mak et autres. Elf Europese stemmen. Atlas Contact. ISBN : 978-9-045-04247-3. 144 pages. 18,00 €

 

The Good Country Equation

Simon Anholt est un chercheur, conférencier et conseiller politique britannique qui a travaillé pendant de longues années sur la réputation des pays et qui a développé, à partir de 2014, le concept de « Good country » et un classement de l’ensemble des pays (Good Country Index) qui peut aisément être retrouvé sur Internet (http://www.goodcountry.org ). En résumé, ce classement, qui prend en compte les contributions nationales dans les domaines de la technologie, la culture, la santé, la paix et la stabilité mondiale, le climat et la prospérité, part du principe que la meilleure manière pour un gouvernement d’améliorer l’image de son pays (un souci fréquent) est de renforcer sa contribution au service de la planète et de l’humanité tout entière. À noter que ce sont des États de l’Union européenne qui occupent actuellement les dix premières places de ce classement, la Finlande arrivant en tête. Le Canada arrive en onzième place.

Avec l’humour et le charme que sait déployer tout conférencier ou diplomate britannique, Simon Anholt nous embarque dans ses voyages aux quatre coins de la planète, du Chili au Mexique, des îles Féroé en Afghanistan, du Botswana en Russie. Au fil des pages, on croise Michelle Bachelet, Vladimir Poutine et bien d’autres, avec ici et là, les conseils formulés par Anholt à l’attention de tel ou tel responsable politique, même si l’on sent bien qu’il observe une certaine réserve diplomatique. Il y a les suggestions mises en œuvre, comme le fait d’introduire une taxe au Bhoutan pour promouvoir un tourisme sélectif et éviter les affres du tourisme de masse, et celles qui resteront lettre morte, comme le prêt à des particuliers d’œuvres reléguées dans les réserves des musées de Toscane.

Oui, mais à quoi bon tout cela ? C’est un peu la question que l’on se pose, en dépit d’une lecture agréable, au bout des premiers chapitres. Après bien des détours et un nombre incroyable d’anecdotes, l’horizon finit par s’éclaircir. Pour Anholt, il s’agit d’expliquer une démarche, qui peut parfois sembler un peu naïve, mais qui est tout entière orientée vers l’humanisme, la coopération internationale et la solidarité entre les peuples. C'est un appel aux hommes et aux femmes politiques à dépasser les seuls intérêts nationaux pour tenir compte des intérêts des autres. Et c’est même un appel aux citoyens partout dans le monde à les pousser dans cette direction. Ce n’est évidemment pas gagné, mais ce n’est pas une raison pour ne pas se demander, dans un monde aussi interdépendant et interconnecté que le nôtre, quels sont les défis communs et quelles peuvent être les solutions équilibrées susceptibles de préserver les intérêts de chaque groupe humain. (O.J.)    

 

Simon Anholt. The Good Country Equation – How We Can Repair the World in One Generation. Berrett-Koehler Publishers. ISBN : 978-1-5230-8961-1. 258 pages. 18,00 €

 

Le Brexit… et après ?

Le dernier numéro de la revue de l’Union européenne consacre un dossier au Brexit et à ses conséquences juridiques. On y trouve notamment un article de Thierry Chopin (Université catholique de Lille et Institut Jacques Delors), qui juge illusoire le modèle de Singapour souvent revendiqué par les Brexiters comme perspective pour le Royaume-Uni à partir du 1er janvier prochain. L’auteur y rappelle notamment que les ports du Royaume-Uni sont sous-développés, en particulier si on les compare à ceux dont l’UE dispose déjà, notamment ceux d’Anvers et de Rotterdam. Dans un autre article, le professeur Jörg Gerkrath (Université de Luxembourg) suggère de réviser l’article 50 pour y introduire une référence aux droits acquis des citoyens européens. Christophe Maubernard (Université de Montpellier) évoque la complexité du règlement des différends entre l’Union européenne et le Royaume-Uni après le retrait de ce dernier, et cela, quelle que soit l’issue de la négociation actuellement en cours. Fabrice Andreone (DG Recherche de la Commission) présente les conséquences du retrait britannique sur la fonction publique européenne, y compris en ce qui concerne les ressortissants britanniques qui y sont employés. (O.J.)

 

Sylvie Torcol, Thierry Chopin et autres. Le Brexit… et après ? Revue de l’Union européenne, n° 640, juillet-août 2020. Dalloz. 50,03 €

 

Introduction au droit des organisations internationales

Cet ouvrage, fruit de nombreuses années de recherche, présente les règles communes qui peuvent être identifiées dans le monde hétéroclite et complexe des organisations internationales. Daniel Dormoy, professeur émérite à l’Université Paris-Sud, y fait une large place à l’Union européenne, en évoquant notamment ses relations avec les Nations unies, sa participation à d’autres organisations internationales, la Politique étrangère et de sécurité commune et les mesures restrictives, mais aussi l’application de la Convention européenne des droits de l’homme ou encore la procédure de retrait de l’article 50 TUE. (O.J.)

 

Daniel Dormoy. Introduction au droit des organisations internationales. Bruylant. ISBN : 978-2-8027-6659-9. 205 pages. 70,00 €

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