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Bulletin Quotidien Europe N° 12470

21 avril 2020
Sommaire Publication complète Par article 34 / 34
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N° 013

Border

Inclassable. Tel est ce récit qui entrecroise histoire antique et actualité récente, mythes chthoniens, rites religieux et profanes, mais aussi souvenirs personnels, sentiments, impressions et poésie. Entre journal de voyage et cahier d’un retour au pays natal, « Border » nous plonge par touches successives dans le quotidien et l’histoire, mouvementés l’un et l’autre, d’une région de confins, entre la Bulgarie, la Grèce et la Turquie. Une région frontalière marquée par la confrontation Est-Ouest, des trafics en tous genres et des déplacements de population. Porte d’entrée vers l’Europe autant que muraille censée la protéger d’une immigration jugée excessive. Espace d’observation et de rencontres où subsistent les dernières traces d’une culture antique encore méconnue, celle des Thraces.

Kapka Kassabova nous y promène en tentant presque imperceptiblement d’y renouer les fils de sa propre histoire. L’auteur, qui vit aujourd’hui dans les Highlands, est d’origine bulgare. Née en 1973 à Sofia, elle a gardé de son enfance le souvenir des dernières années du système socialiste. Après la chute du rideau de fer, elle émigre avec ses parents en Nouvelle-Zélande puis s’installe en Écosse en 2005, d’où elle partira à la redécouverte de son pays natal désormais membre de l’Union européenne. L’auteur écrit en anglais, mais « Border », paru en 2017, vient de faire l’objet d’une traduction en français sous le titre : « Lisière ».

Grande fresque animée d’innombrables portraits croqués à vifs, l’ouvrage invite au voyage sans jamais laisser d’interroger sur la nature humaine. Olivier Jehin

 

Kapka Kassabova. Border – A Journey to the Edge of Europe. Granta. ISBN : 978-17-837-8320-5. 379 pages. 14,99 €

 

Kapka Kassabova. Lisière. Traduit de l’anglais par Morgane Saysana. Éditions Marchialy. ISBN : 979-10-95582-50-2. 485 pages. 22,00 €

 

Et si on recommençait par la culture ?

« Ce qui tue l’Europe à petit feu est son absence d’âme et le déni de son identité. Ce qui pourrait la sauver, en la réhabilitant aux yeux des peuples qui la composent, ce serait d’abord l’affirmation de son identité et la reconnaissance de sa puissance culturelle, produits d’une histoire prodigieuse et d’une créativité sans limites. L’Union européenne se sait désormais mortelle. Face au lent écroulement qui la guette et dans un contexte de révolte électorale croissante, seule une stratégie de souveraineté et de puissance, qui place en son cœur la question culturelle, peut redonner sens au projet européen et permettre de construire enfin un sentiment d’appartenance commun à l’ensemble des peuples du continent ». Ces quelques lignes résument le projet politique que porte Jean-Noël Tronc dans cet ouvrage paru l’an dernier à la veille des élections européennes, mais qui n’en demeure pas moins d’actualité dans une Europe qui ignore la culture. Absente d’une construction européenne concentrée sur le charbon et l’acier, puis l’agriculture et la pêche, avant une vocation numérique aussi tardive qu’inaccessible, la culture est tout autant mise à la portion congrue dans les États membres.

L’histoire est remplie de manipulations culturelles et il est légitime de se méfier de toutes les formes d’appropriation, d’exploitation, de détournement des créations culturelles et des courants intellectuels. La culture n’en demeure pas moins, comme le souligne celui qui dirige depuis 2012 la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), un vecteur d’identité, un formidable outil d’influence et une source majeure de développement économique et social.

Que pèse la culture à l’échelle de l’UE ? Rien moins que 7 millions d’emplois, soit 2,5 fois plus que les constructeurs automobiles, cinq fois plus que l’industrie chimique et sept fois plus que le secteur des télécommunications. Elle est ainsi le troisième employeur en Europe derrière l’hôtellerie-restauration et dégage des revenus annuels supérieurs à 530 milliards d’euros. Une réalité économique que l’Europe, pourtant conçue et/ou réduite à un simple marché, n’a jamais cessé d’ignorer.

Dans la version du cadre financier pluriannuel 2021-2027 sur laquelle aucun accord n’a pu être trouvé, la Commission avait proposé de doter « Europe Créative » de 1,85 milliard d’euros, mais avec à peine « 249 millions d’euros demandés pour 2021, soit 0,001% du budget total, et un inévitable saupoudrage, la Commission n’a guère les moyens de ses ambitions », souligne Jean-Noël Tronc. En partant de là, on peut craindre le pire dans le contexte du budget de crise annoncé en remplacement de cette version pour faire face aux conséquences de la pandémie actuelle ; cela, alors même que le secteur culturel est particulièrement affecté par la fermeture des salles de spectacles, des musées et l’annulation des grandes manifestations.

Ancien conseiller du Premier ministre français Lionel Jospin, ancien directeur général d’Orange, puis PDG de Canal +, Jean-Noël Tronc a été un témoin privilégié de la déconfiture du secteur des télécommunications en Europe, de l’échec d’Euronews, rachetée par des capitaux égyptiens et américains, de l’appropriation des droits audiovisuels sur les compétitions sportives par le Qatar et du développement de l’hégémonie américaine dans le numérique. Il revient aussi très longuement sur la longue lutte qui a opposé les défenseurs des auteurs et des créateurs aux géants de l’Internet, Google et autres, cherchant à cannibaliser l’ensemble du patrimoine culturel européen, avec la complicité consciente ou naïve des dirigeants européens. Une naïveté européenne qui tranche avec la stratégie américaine alliant protectionnisme et expansionnisme. « L’idée que les règles de la propriété intellectuelle pourraient expliquer une partie du retard européen en matière de numérique est d’ailleurs contredite par la réalité américaine. Les géants de la Silicon Valley se sont en effet tous développés, à partir du marché américain, pour dominer aujourd’hui l’Internet commercial à l’échelle planétaire. Il ne serait jamais venu à l’esprit de la classe politique américaine de faire de l’affaiblissement du copyright un objectif. Protectionnisme et régulation sont les maîtres-mots du marché intérieur américain. Ce qui n’empêche pas, bien sûr, l’administration américaine de faire régulièrement pression sur les Européens pour une plus large ouverture de leurs marchés », souligne Jean-Noël Tronc. Et les Chinois ne sont pas en reste. Comme le constate l’auteur, « la stratégie chinoise en matière culturelle et numérique est ouvertement protectionniste : la Chine a choisi de développer un réseau semi-fermé, comme une enclave adjacente à l’Internet mondial, mais une enclave qui en représente plus du quart en nombre d’utilisateurs (800 millions d’internautes) et qu’elle régule étroitement ».

« Trente ans après l’irruption de la vague libérale dans l’industrie européenne des télécommunications, renforcée par la vague de consumérisme, on aboutit à ce résultat paradoxal que tous les efforts pour affaiblir les monopoles européens débouchent sur un quasi-monopole américain dans le domaine des plateformes Internet, et asiatique dans celui des terminaux et des équipements », constate Jean-Noël Tronc, non sans ajouter que, dans ce modèle, c’est en définitive le citoyen européen qui subventionne les plateformes Internet américaines.

L’auteur formule une série de propositions pour renforcer la souveraineté numérique européenne, y compris en améliorant la lutte contre les abus de position dominante des GAFA. Il demande un meilleur accès des industries culturelles aux aides prévues pour l’innovation, habituellement réservées au secteur technologique et aux start-up. Il suggère aussi de relancer le projet de bibliothèque numérique européenne Europeana, en préservant sa vocation de service public sans but lucratif. Il propose encore d’affecter 500 millions d’euros au développement en cinq ans d’un outil miniaturisé de traduction automatique sur la base de la reconnaissance vocale. Sur le modèle initié en 2013 par le mouvement France Créative, il préconise d’unir les secteurs de la culture et du numérique dans une même stratégie créative pour l’Europe. Jean-Noël Tronc veut aussi promouvoir une identité culturelle commune et propose à cette fin de décliner Erasmus en dehors de l’université, de promouvoir les jumelages scolaires, de renforcer la dimension européenne des programmes d’information audiovisuels en Europe ou encore de remplacer sur les billets d’euros les actuelles structures architecturales anonymes par des figures de grands artistes ou philosophes européens choisis au moyen d’un référendum citoyen. (OJ)

 

Jean-Noël Tronc. Et si on recommençait par la culture ? Plaidoyer pour la souveraineté européenne. Seuil. ISBN : 978-2-0214-1946-7. 267 pages. 18,00 €

 

Covid-19 : les réponses européennes

La Fondation Schuman propose sur son site deux analyses convergentes des réponses européennes à la crise sanitaire actuelle liée au coronavirus SARS-CoV-2 apparu en Chine fin 2019. Assez complets dans leurs descriptions des différentes réponses nationales et européennes, ces travaux soulignent les limites des compétences communautaires dans le domaine de la santé et appellent à tirer les leçons de cette crise pour « préparer des plans d’urgence épidémiologique, technologique, climatique et dans tous les domaines où la stabilité de l’Union et l’intégrité de ses citoyens pourraient être menacées ». On y trouve aussi des critiques modérées de l’ordolibéralisme et des attitudes de certains gouvernements qui ont pris des mesures unilatérales en affichant leur mépris de la plus élémentaire solidarité.

En réalité, le travail de réflexion sur la gestion de cette crise ne fait que commencer. Et s’il faudra tirer des enseignements sur ce qui peut être amélioré au niveau « fédéral » européen, de nombreuses questions s’adressent d’abord aux gouvernements nationaux et parfois régionaux. Ce sont eux qui sont responsables de l’imprévoyance en termes de stocks de matériel et de capacités hospitalières. Ce sont eux qui sont responsables de l’absence de réponse sanitaire pour les maisons de retraite. Et ce sont encore eux qui sont responsables de décisions désordonnées, souvent excessives, prises dans l’urgence comme pour masquer leur imprévoyance. Ils sont pleinement responsables des surmortalités (+150% dans le Haut-Rhin ou, au 18 avril, plus de 5 000 morts en Belgique contre moins de 4 000 en Allemagne) qui apparaissent de plus en plus criantes au fur et à mesure que les données sont consolidées localement, régionalement et nationalement.  

Bouc émissaire habituel, « l’Europe » a été critiquée et le sera d’autant plus qu’elle peut apparaître aux citoyens dans la nudité de ses maigres compétences en matière de santé publique. L’absence de coordination et le défaut de solidarité entre États membres viennent encore détériorer l’image de monstre bureaucratique, froid et distant que véhiculent les eurosceptiques et les nationaux-populistes. Jacques Delors a eu raison d’y voir un danger de mort pour l’Union européenne.  

Il n’existe pas de réponse parfaitement efficace à un agent biologique nouveau. Comme du reste, il n’existe pas de risque zéro. Cette pandémie est venue nous le rappeler, cruellement. Elle est une leçon d’humilité pour chacun d’entre nous. (OJ)

 

Éric Maurice et autres. Covid-19 : les réponses européennes. Nicolas-Jean Brehon. L’Union européenne et le coronavirus. Ces deux études peuvent être téléchargées gratuitement sur le site de la Fondation Schuman : http://www.robert-schuman.eu

 

Défense européenne : l’accès des pays tiers au FEDEF

Dans cette note d’analyse, Federico Santopinto revient sur les modalités de participation des entreprises de pays tiers au Fonds européen de défense (FEDEF) en soulignant, à juste titre, que « le degré de participation que l’UE accordera à ses alliés anglo-saxons sera révélateur de la vision qu’elle a d’elle-même et du rôle qu’elle entend s’attribuer en matière de défense ».

Si le règlement du fonds irrite profondément les Américains, c’est tout simplement parce que, pour la première fois, les Européens se sont donné les moyens d’appliquer aux entreprises américaines des modalités qui ressemblent très fort aux règles protectionnistes en vigueur aux États-Unis et parce que certaines d’entre elles sont parfaitement incompatibles avec la législation ITAR. Quant aux Britanniques, ils devraient a minima accepter de respecter la directive de 2009 sur les marchés publics de défense. Un engagement qui ne leur fait courir aucun risque, puisque la Commission n’a rien fait jusqu’à aujourd’hui pour faire appliquer ce texte par les États membres.

Federico Santopinto souligne aussi le pouvoir d’interprétation que l’article 10 du règlement confère à la Commission européenne en ce qui concerne les règles d’éligibilité. Le chercheur du GRIP y voit un atout pour l’Union, qui pourrait ainsi procéder à des arbitrages au cas par cas. Eu égard à la faiblesse dont la Commission a fait preuve dans le secteur de la défense jusqu’à présent, il est aussi permis d’y percevoir un risque, jusqu’à preuve du contraire.

Mais Federico Santopinto a raison de conclure : « Le problème majeur dans ce dossier n’est pas tellement de comprendre ce que veulent les États-Unis ou le Royaume-Uni. Les Américains et les Britanniques ont les idées claires à ce sujet : ils ne souhaitent pas que l’UE devienne un acteur stratégique majeur et ils feront ce qu’ils peuvent pour l’éviter. L’enjeu, dans ce dossier, est plutôt de comprendre ce que veulent vraiment les Européens ». Si jamais, ils avaient une quelconque ambition, ce qui est loin d’être assuré ! (OJ.

 

Federico Santopinto. Défense européenne : l’accès des pays tiers au FEDEF. Cette note d’analyse du GRIP peut être téléchargée à l’adresse suivante : https://www.grip.org/fr/node/2938

 

Will a European Security Council bring strategic relevance?

Dans cette note, le général Coelmont revient sur l’utilité pour l’UE de disposer d’un organe de décision de niveau stratégique si elle veut réellement jouer un rôle majeur sur la scène internationale. Après avoir écarté une procédure de révision des traités jugée longue et incertaine, Jo Coelmont suggère que le Conseil européen pourrait se réunir en « Conseil de sécurité de l’Union européenne » pour discuter des questions de sécurité internationale. Curieusement, l’auteur n’ose pas franchir le Rubicon de la prise de décision à la majorité qualifiée, préférant évoquer le recours à l’abstention constructive associée à une faculté de veto limitée (les chefs d’État ou de gouvernement ne pourraient s’opposer à une action que si elle met directement en danger la sécurité nationale). Plus curieusement encore, il suggère que ce Conseil de sécurité, formé des chefs d’État ou de gouvernements, décidant à l’unanimité, superviserait les conférences de génération de forces ainsi que la mise en œuvre de l’action engagée jusqu’à l’état final recherché. (OJ)

 

Jo Coelmont. Will a European Security Council bring strategic relevance? Ce Security Policy Brief n° 124 peut être téléchargé sur le site de l’Institut Egmont : http://www.egmontinstitute.be

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