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Bulletin Quotidien Europe N° 12447

17 mars 2020
Kiosque / Kiosque
N° 011

Le Brexit en toutes lettres

Si l'usage du B-word est désormais interdit (sauf exception) à Whitehall, sa réalité prend forme et inspire ou désespère les commentateurs politiques et nombre d’écrivains, qui n'ont pas attendu le vote du 20 décembre dernier à Westminster pour se faire entendre sur une décision qui divise profondément le Royaume-Uni. En prose comme en vers, du récit historique à l’analyse politique, du roman au polar, rien ne manque dans la foisonnante bibliothèque du Brexit. Un inventaire exhaustif étant impossible, voici un échantillon d’ouvrages sélectionnés parmi les meilleures publications britanniques.

Kevin O'Rourke, auteur de ‘A Short History of Brexit’, estime qu'il faut remonter aux années 1950 pour comprendre les raisons de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. En 1956, le Chancelier de l'Échiquier, Harold Macmillan, avait proposé un plan pour régler les relations du Royaume-Uni avec la CEE, un plan qui lui laissait la possibilité de conclure librement des traités commerciaux avec le reste du monde. Kevin O' Rourke constate que ce plan G (comme on l'appelait à l’époque) est devenu le plan A. S'il n'a pas marché en 1956 et s'il ne peut pas marcher dans sa forme actuelle, c'est exactement pour la même raison : « Les responsables politiques britanniques avaient produit un projet qui était effectivement très bon pour le Royaume-Uni, mais, ce faisant, ils n'avaient pas accordé suffisamment d'attention aux intérêts des autres pays ». Professeur d'histoire économique à Oxford et conseiller municipal dans le village français de Saint-Pierre d'Entremont, Kevin O’Rourke est né en Suisse, de père irlandais (son père a été Représentant permanent de l'Irlande à Bruxelles dans les années '80) et de mère danoise : ce que Theresa May appellerait un « anywhere ».

 

Kevin O'Rourke. A Short History of Brexit. Pelican. ISBN : 978-0241-39827-2. 384 pages. 24,42 €

 

Dès 2016, Ian Dunt a réuni les avis d'experts dans ‘Brexit, What the Hell Happens Now : All you need to know about Britain's divorce from Europe’, pour illustrer le fait que « mettre en œuvre le Brexit signifie pratiquement créer un nouveau pays » et conduire « parallèlement au démantèlement de notre Union », le Royaume-Uni.

 

Ian Dunt. Brexit, what the Hell Happens Now. Canbury Press. ISBN : 978-0995-49785-6. 192 pages. 10,49 €

 

Dans ‘Fall Out: a Year of Political Mayhem’, le ‘political editor’ du Sunday Times, Tim Shipman, consacre près de 600 pages à la désastreuse campagne menée par Theresa May pour les élections législatives de 2017.

 

Tim Shipman. Fall Out: a Year of Political Mayhem. Harper & Collins. ISBN : 978-0008-26438-3. 592 pages. 8,89 €

 

La conclusion des auteurs de ‘Rule Britannia : Brexit and the End of Empire’, Danny Dorling et Sally Tomlinson, est prudemment optimiste : si le pays choisit le chemin de la conciliation, il pourra se forger une nouvelle identité.

 

Danny Dorling et Sally Tomlinson. Rule Britannia : Brexit and end of Empire. Biteback publishing. ISBN : 978-1785-90453-0. 320 pages. 15,69 €

 

Le journaliste irlandais Tony O'Connell s'interroge quant à lui sur les conséquences que le Brexit pourrait avoir pour son pays, dans ‘Brexit and Ireland : the Dangers, the Opportunities and the Inside Story of the Irish Response’. Son compatriote Finian O'Toole, journaliste et historien, explore dans ‘Heroic Failure : the Politics of Pain’ (un titre qui en dit long) les racines historiques du Brexit.

 

Tony O'Connell. Brexit and Ireland : the Dangers, the Opportunities and the Inside Story of the Irish Response. Penguin. ISBN : 978-0241-98242-6. 416 pages. 9,07 €

 

Finian O'Toole. Heroic Failure : Brexit and the Politics of Pain. Head of Zeus. ISBN : 978-1789-54098-7. 276 pages. 14,79 €

 

Pour ceux qui voudraient connaître les dessous du référendum de 1975, Robert Saunders, dans ‘Yes to Europe : the 1975 Referendum and Seventies Britain’, rappelle qu'un Royaume-Uni qui était alors plus insulaire et moins cosmopolite s'est prononcé massivement pour l'adhésion à la CEE : 67,2%. Et le travailliste Neil Kinnock, qui avait fait campagne pour le ‘non’, de commenter : « Seul un idiot ignorerait ou se hérisserait contre une majorité comme celle-ci : nous sommes dedans, pour toujours ». S'il s'est trompé sur ce point, Neil Kinnock a également évolué dans sa position sur l'Europe, comme membre, puis vice-président de la Commission européenne (de 1995 à 2004). « J'ai participé activement - du côté des perdants - et Saunders capture brillamment et objectivement le contexte et l'atmosphère de la campagne », souligne l’ancien commissaire

 

Robert Saunders. Yes to Europe : the 1975 Referendum and seventies Britain. Cambridge University Press. ISBN : 978-1108-44224-4. 422 pages. 15,93 €

 

Mais ce cataclysme politique est aussi matière à roman.

La voie a été ouverte en 2016 par Ali Smith, avec ‘Autumn’, premier volume de ce qui a été un peu hâtivement baptisé « la tétralogie Brexit » (Ali Smith préfère parler de « seasonal quartet »). Ces romans évoquent l'atmosphère du pays après le référendum, souvent avec une frappante simplicité - « tout le pays était réjouissance et détresse » -, mais l'univers de l'écrivaine écossaise est extrêmement riche et complexe. Après ‘Winter’ et ‘Spring’, un dernier volume, ‘Summer’, doit paraître en juillet prochain.

 

Ali Smith. Autumn. Anchor. ISBN : 978-1101-96994-6. 288 pages. 12,93 €

 

Plus « classique » (ce qu'en anglais, on appelle « a very good read »), ‘Middle England’, de Jonathan Coe, aborde le thème plus directement. Des familles et des générations se heurtent dans cette « social comedy », selon la définition de l'auteur, qui voit dans ces déchirures une métaphore pour un pays qui est profondément divisé, mais qui devra apprendre à apaiser ces conflits s'il veut survivre.

 

Jonathan Coe. Middle England. Penguin. Knopf Publishing Group. ISBN : 978-0525-65647-0. 432 pages. 26,52 €

 

Avec son ‘Coakroach’, Ian McEwan ne fait pas dans la dentelle. Ici, contrairement à ‘La métamorphose’ de Kafka, dont il s'inspire, ce n'est pas un homme qui se voit transformé en un « monstrueux insecte », mais l'insecte qui occupe le corps de celui qui va devenir Premier ministre. Les membres de son cabinet sont des cafards. Le livre a divisé : les uns ont applaudi un triomphe comique, alors que d’autres critiques ont estimé que le jeune McEwan aurait jeté ce brouillon à la poubelle.

 

Ian McEwan. The Coakroach. Anchor. ISBN : 978-0593-08242-3. 112 pages. 10,30 €

 

Rachel Cusk est plus subtile dans sa collection d'essais ‘Coventry’, où elle s'interroge sur le « déluge de littérature à la suite du référendum, qui contraste étrangement avec la réticence qui l'a précédé ». « Les élites libérales défendent leur réalité, mais trop tard », estime-t-elle.

 

Rachel Cusk. Coventry. Faber&Faber. ISBN : 978-0571-35044-5. 256 pages. 15,83 €

 

Le Brexit a même inspiré un poète, Luke Wright. Dans ‘The Remains of Logan Danworth’, un monologue en vers (dans un mince volume et sur scène), Wright le raconte à travers les yeux d'un jeune journaliste qui veut s'engager, du côté des ‘Remainers’, pour ce qu'il juge être « la plus grande bataille depuis des années » et vit en même temps la désintégration du consensus dans le pays et celle de son mariage. Après la volte-face de Boris Johnson, il écrit : « Il s'est prononcé pour l'autre côté. Il est clair qu’il ne l’a fait que pour emporter la base du parti conservateur, comme s'ils pouvaient un jour faire de lui le Premier ministre ». Et l’histoire lui a donné raison.

 

Luke Wright. The Remains of Logan Danwort. Penned in the Margins. ISBN : 978-1908-05869-0. 100 pages. 12,70 €

 

La meilleure fiction sur le Brexit est une œuvre de commande. Sollicité en 2017 par les éditeurs de Peirene pour « construire un pont imaginaire entre les deux Grande-Bretagne qui s'opposent depuis le jour du référendum », Anthony Cartwright a écrit ‘The Cut’, un court roman qui se déroule dans les West Midlands, la ‘Black Country’, la région la plus industrialisée du pays au 19e siècle. C'est le pays de Cartwright, et le lecteur sent sa profonde connaissance des gens et des mentalités lorsqu'il raconte le dilemme du Brexit et l'écart croissant entre ‘Remainers’ et ‘Leavers’ à travers la rencontre entre deux individus : un ancien boxeur obligé de vivre de petits boulots et une journaliste qui vient de Londres pour tourner un documentaire pour la BBC. C'est bien écrit, loin des stéréotypes, fort, poignant. Cartwright ne choisit pas un côté ou l’autre, mais semble comprendre le ressentiment de ceux qui se sentent injustement considérés comme responsables du gâchis du Brexit, tout en ne se taisant pas sur leur hostilité vis-à-vis de tout ce qui est étranger.

Les changements sociaux et politiques sont parfois mieux perçus à travers les péripéties de vies imaginaires (il suffit de penser à Dickens) que par les débats sur les « somewhere » et les « anywhere » dont parle David Goodhart dans ‘The Road to Somewhere’, une notion un peu imprudemment martelée par Theresa May, apparemment inconsciente de son potentiel polémique. Cartwright comprend les gens de la ‘Black Country’, il nous les montre dans leur désarroi, leur orgueil blessé, leur désenchantement, sans mépris ni moquerie.

 

Anthony Cartwright. The Cut. Pereine Press. ISBN: 978-1908-67040-3. 129 pages. 13,76 €

 

Les Brexit thrillers ne pouvaient pas manquer à l’appel. Avec ‘Agent Running in the Field’, le maître du genre, John Le Carré, confirme qu'à 88 ans, il n'a rien perdu de son talent. Le Brexit n'est pas le cœur de cette histoire de trahison et de réconciliation, menée avec virtuosité et précision, mais, lorsqu'il est évoqué dans des conversations, on croit entendre la voix de l'auteur, ‘Remainer’ convaincu, qui dénonce un « geste d'auto-immolation » qui « mène les citoyens jusqu'au bord de l'abîme ».

 

John Le Carré. Agent Running in the Field. Viking Press. ISBN : 978-0241-40121-7. 288 pages. 15,54 €

 

Les négociations pour la sortie du Royaume-Uni de l'Union sont en revanche au cœur de ‘Accidental Agent’, de Alan Judd : le chef du MI6 se voit offrir par un fonctionnaire de l'Union des informations sur les ‘bottom lines’ qui pourraient décider de l'issue de ces négociations et doit décider s'il peut s'en servir.

 

Alan Judd. Accidental Agent. Simon &Schuster. ISBN : 978-1471-15068-5. 272 pages. 10,02 €

 

Chris Mullin, ancien parlementaire travailliste et brièvement membre du gouvernement Blair, passe carrément, avec ‘The Friends of Henry Perkins’, à l'année 2025 et à un monde post-Trump où une femme est pour la première fois à la tête du Parti travailliste.

 

Chris Mullin. The Friends of Henry Perkins. Scribner. ISBN : 978-1471-18248-8. 192 pages. 11,91 €

 

En 1941, George Orwell ne savait pas qu'il y aurait une Communauté européenne, puis une Union européenne, ni que le Royaume-Uni en ferait partie avant d'en sortir, mais, dans son brillant livre-pamphlet ‘The Lion and the Unicorn’, il affirmait que ses compatriotes « doivent cesser de mépriser les étrangers ». Et Orwell d’ajouter que les Britanniques « sont des Européens et devraient en être conscients ». La prise de conscience semble toujours aussi difficile quatre-vingts ans plus tard.

Lidia Gazzo

 

The Refugee Reception Crisis in Europe

Cet ouvrage collectif analyse l’accueil des réfugiés en Europe, avant, pendant et après l’afflux massif des années 2015-2016 et l’évolution des opinions publiques à ces différents moments. Il est le fruit d’une collaboration entre des équipes de chercheurs de l’Université libre de Bruxelles, de la Katholieke Universiteit Leuven et de l’Université de Liège. Outre une analyse comparative transnationale à l’échelle européenne, il présente six études de cas : l’Allemagne et la Suède (présentant une relative tolérance à l’accueil des réfugiés), la Hongrie (fortement opposée), la Grèce et l’Italie (principales portes d’entrée) et la Belgique.

Les chercheurs rappellent que, selon les données publiées par Eurostat en 2019, les États de l’UE ont reçu 1,3 million de demandes d’asile en 2015 et 1,2 million en 2016. Après l’accord entre l’UE et la Turquie, le nombre des demandeurs d’asile a chuté fortement en 2017 à environ 700 000. Ils rappellent également qu’un million de demandeurs d’asile représentaient à l’époque 0,2% de la population totale de l’UE. Les chercheurs estiment dès lors que les États membres ont manifesté à cette occasion leur « eurocentrisme » en refusant de reconnaitre le poids que représentait pour les pays voisins l’accueil de réfugiés, en particulier syriens, à savoir la Turquie (3 millions) et le Liban (1,5 million). Ce dernier chiffre représentait 25% de la population totale du Liban. En Europe, quatre États (Allemagne, Hongrie, Suède et Autriche) ont reçu à eux seuls deux tiers des demandes d’asile en 2015. Des pays avec une longue tradition d’accueil, y compris les Pays-Bas, la France et le Royaume-Uni, ont accueilli moins de réfugiés que la moyenne européenne. Le chapitre consacré à l’Allemagne souligne toutefois que ce pays a accueilli au total 2,14 millions de migrants en 2015.

L’ouvrage montre, pour la plupart des pays, un décalage entre la virulence du débat politique et médiatique et une opinion publique plus modérée en ce qui concerne la perception de la menace, tant économique que culturelle, évoquée et/ou instrumentalisée dans ce débat. Sur une échelle de 0 à 10, la perception de la menace économique varie entre 4 et 5 dans le nord de l’Europe et la perception de la menace culturelle entre 3 et 4. En outre, la perception de la menace n’évolue pratiquement pas entre 2002 et 2016. En Europe de l’Ouest, il en va de même, avec toutefois des niveaux de préoccupation plus élevés : 4 à 6 pour la menace économique comme pour la menace culturelle. Dans le Sud, les opinions publiques sont plus inquiètes, avec des pointes allant jusqu’à 7. À l’Est, la perception des deux types de menaces se situe entre 4 et 6, mais celle de la menace culturelle croît fortement à partir de 2012. La Hongrie se distingue par une opinion publique refusant à plus de 45% l’accueil de tout immigrant.

Olivier Jehin

 

Andrea Rea, Marco Martiniello, Alessandro Mazzola et Bart Meuleman (sous la direction de). The Refugee Reception Crisis in Europe – Polarized Opinions and Mobilizations. Éditions de l’Université de Bruxelles. ISBN : 978-2-8004-1693-9. 260 pages. 23 €.

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