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Bulletin Quotidien Europe N° 12417

4 février 2020
Kiosque / Kiosque
N° 008

Mondialisation et national-populisme

« Hier comme aujourd’hui, les perdants de la mondialisation ont cherché dans la restauration d’un État protecteur les moyens de répondre au sentiment d’insécurité économique et culturelle croissant. Il en a découlé des réponses démocratiques, comme le New Deal aux États-Unis et le compromis social-démocrate d’après-guerre en Europe de l’Ouest, mais aussi des réponses totalitaires, comme le stalinisme, le fascisme et le national-socialisme », souligne Arnaud Zacharie dans l’ouvrage qu’il consacre à la « nouvelle grande transformation ». L’auteur, docteur en sciences politiques et sociales et maître de conférences à l’Université libre de Bruxelles et à l’Université libre de Liège, y compare la période actuelle à celle que l’Europe et, plus largement, le monde occidental ont traversée entre la fin du 19e siècle et le milieu du 20e, avec, à chaque fois, une phase de transformation accélérée et de « désencastrement », suivie d’une phase de repli ou de « réencastrement ».

L’ouvrage s’ouvre par la description de la « première mondialisation » entre 1870 et 1914 et du phénomène de crise et de repli qu’elle génère en retour, selon la thèse développée par Karl Polanyi. Dans une deuxième partie, l’auteur décrit les dérives de la mondialisation néolibérale et de la financiarisation de l’économie, qui conduisent en retour à une contestation susceptible d’ébranler les démocraties occidentales. Les caractéristiques et les implications du repli national-populiste sont analysées dans une troisième partie. L’ouvrage se termine par une présentation de pistes permettant d’échapper à la spirale identitaire et nationaliste.

Pour Arnaud Zacharie, nous vivons aujourd’hui un « moment populiste », défini par Marc Lazar, directeur du centre d’histoire de Sciences Po, comme « un syndrome politique qui se traduit par l’émergence de mouvements et de leaders proclamant l’existence d’un antagonisme majeur entre un peuple supposé uni, bon et vertueux, et une élite homogène, diabolique, perverse, complotant en permanence contre le premier ». Mais l’auteur souligne, dans le même temps, le « double paradoxe du national-populisme » qui « prétend répondre aux demandes des perdants de la mondialisation en préservant l’agenda néolibéral » et qui « affirme défendre les valeurs occidentales en remettant en cause les droits humains et les fondements de la démocratie libérale ».

Si l’auteur s’inquiète en particulier du populisme de droite, il reconnaît que le populisme de gauche n’est pas exempt d’importantes critiques. Citant un extrait du « Naufrage des civilisations » paru en 2019 chez Grasset, il note qu’Amin Maalouf s’inquiète de la tendance de certaines forces de gauche, qui « levaient naguère l’étendard de l’humanisme et de l’universalisme, mais préfèrent aujourd’hui prôner des combats à caractère identitaire, en se faisant les porte-paroles des diverses minorités ethniques, communautaires ou catégorielles ; comme si, renonçant à bâtir un projet pour la société tout entière, elles espéraient redevenir majoritaires en coalisant les ressentiments ». « Lorsqu’on fonde sa stratégie sur de tels clivages, on contribue inévitablement au morcellement et à la désintégration », ajoute Amin Maalouf.

S’il insiste longuement sur l’analogie entre le repli national-populiste actuel et la crise des années 30, Arnaud Zacharie n’en souligne pas moins les différences. Il note en particulier que le système multilatéral de ce début de XXIe siècle comporte des institutions et des contraintes beaucoup plus solides qu’à l’époque, comme celles émanant de l’OMC, de la Cour de justice de l’Union européenne ou de la Convention européenne des droits de l’homme, ce qui rend les actions unilatérales contre le reste du monde et les violations des droits humains plus complexes à entreprendre. « Contrairement aux années 1930, le développement des systèmes de protection sociale après la Deuxième Guerre mondiale permet par ailleurs d’amortir le choc social de la crise économique – et, par conséquent, la violence de la réaction politique », ajoute-t-il.

Mais c’est aussi dans ce contexte que se développe le conflit commercial entre les États-Unis et la Chine, qui n’est que la partie visible d’une compétition plus profonde pour le leadership mondial. « Pendant que les États-Unis se replient et que l’Union européenne se divise, la Chine développe son propre projet de « Nouvelle route de la Soie », qui ambitionne de faire de l’Empire du Milieu la première puissance mondiale à l’horizon 2049, année du centenaire de la proclamation par Mao Zedong de la République populaire de Chine », observe Arnaud Zacharie qui voit ainsi poindre une « Guerre froide 2.0 ».

« Lâchée par son allié traditionnel américain et incapable de définir une stratégie cohérente vis-à-vis de la Chine, l’Union européenne est prise au piège du basculement du monde. Non seulement l’Union européenne risque d’être la victime collatérale de la rivalité croissante entre les États-Unis et la Chine, mais la crise du multilatéralisme qui en résulte remet en outre en cause les fondements de la construction européenne, qui représente l’expérience la plus ambitieuse d’intégration supranationale. Les divergences entre les États membres exacerbées par la montée du national-populisme et le déclin des partis traditionnels menacent l’Union européenne de paralysie, voire de désintégration », constate l’auteur.

Comment en sortir ? « Plutôt que de multiplier les règles intrusives qui réduisent inutilement les marges de manœuvre politiques des États membres, la construction européenne devrait, au contraire, recentrer ses priorités sur les domaines où elle apporte une véritable plus-value à l’ensemble de ses membres, tout en se donnant les moyens de résorber les divergences internes qui la minent de l’intérieur », estime Arnaud Zacharie, qui cite comme chantiers prioritaires : la finalisation d’une véritable Union bancaire ; l’établissement d’une véritable Union de l’énergie ; une politique d’asile et de migration intégrée ; une harmonisation sociale et fiscale européenne ; la concrétisation du projet de défense européenne ; une Union politique et budgétaire, avec des règles budgétaires adaptées au défi de la transition écologique et sociale, un Eurogroupe transformé en véritable gouvernement économique de la zone euro, dont les décisions seraient transparentes et contrôlées par le Parlement, ainsi qu’un budget suffisamment conséquent pour permettre à l’Union d’exercer une réelle fonction redistributrice pour résorber les déséquilibres internes. Et d’ajouter : « Seule la mise en œuvre de projets communs débouchant sur des bénéfices visibles et partagés par l’ensemble des États membres est susceptible de combler le fossé entre l’Europe et ses citoyens ». Rappeler tout cela peut paraître incantatoire et même dérisoire. Le remède décrit est bien connu des médecins, mais ceux-ci n’ont eu de cesse de débattre de la posologie et des modes d’administration plutôt que de traiter le patient. Et c’est ainsi que, déjà bien malade, l’Europe a atteint un stade chronique. Pour ne pas la perdre, il est devenu urgent de la soigner. (Olivier Jehin)

 

Arnaud Zacharie. Mondialisation et national-populisme – La nouvelle grande transformation. Éditions Le bord de l’eau. ISBN : 978-2-35687-6812. 375 pages. 27,00 €

 

Le Japon. Un modèle en déclin ?

En parcourant 100 questions, Valérie Niquet nous fait voyager très concrètement au travers du Japon, de ses traditions, de son histoire et de son économie. L’auteur, qui est responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique, nous présente un pays complexe, aux facettes multiples et, au moins en apparence, contradictoire, à la fois « projeté vers l’avenir et tourné vers le passé, moderne et profondément traditionnel, autosatisfait et inquiet, prêt à accepter les innovations venues de l’extérieur et peu doué pour intégrer l’étranger, investisseur ou migrant ». Si ce portrait doit beaucoup à l’histoire, marquée par deux siècles de fermeture (de 1641 à 1853), et à une culture entre tradition et créativité, il permet aussi d’appréhender la capacité de résilience sociale et économique d’un Japon qui, à certains égards, peut être un modèle.

L’ouvrage couvrant tous les domaines, il serait vain de vouloir le résumer ici. Retenons simplement que le déclin est très relatif, même si ce sentiment est partagé par la société japonaise. Certes, l’économie est en stagnation depuis de nombreuses années, mais elle conserve de bons fondamentaux. La dette est bien de 200% du PIB, mais elle est détenue en quasi-totalité par les Japonais eux-mêmes. Le patrimoine financier domestique s’élève à 27 000 milliards de dollars et l’actif des ménages représente 330% du PIB. En dépit de la concurrence asiatique, en particulier de la Chine, le Japon a réussi, comme l’Allemagne, à préserver un tissu industriel dense et diversifié. En revanche, l’agriculture a pratiquement disparu. Elle ne représente que 1,7% du PNB. Seulement 11% des terres cultivables sont aujourd’hui exploitées, ce qui correspond à peine à 2% de la superficie totale du Japon. À noter que c’est en 1960, en réaction à la pollution par les pesticides, qu’apparaît au Japon le concept des teikei ou AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne).

Le déclin démographique est en revanche très net. La population japonaise est passée de 130 millions en 2008 à 127 millions en 2018. Le plus faible taux annuel de naissances depuis 1895 a été enregistré en 2019 et le vieillissement de la population s’accélère : 28% des Japonais avaient plus de 65 ans en 2019.

Si 54% des Japonais se déclaraient, en 2019, toujours hostiles à une révision de la Constitution visant à donner un caractère constitutionnel aux forces d’autodéfense et demeuraient attachés à une forme de pacifisme héritée de la Deuxième Guerre mondiale et des bombardements nucléaires subis à Nagasaki et Hiroshima, le Japon dispose de capacités conventionnelles significatives et, avec un budget de 47 milliards de dollars consacré à la défense en 2018, il se situe au huitième rang mondial, immédiatement derrière la France. Toutefois, les forces d’autodéfense (247 000 hommes) n’ont eu aucune expérience de combat depuis leur création en 1954 et elles connaissent désormais des difficultés de recrutement, dans un pays confronté au vieillissement. En 2019, l’âge limite a ainsi dû être relevé. À lire, pour découvrir ou redécouvrir les spécificités nippones. (OJ)

 

Valérie Niquet. Le Japon. Un modèle en déclin ? (en 100 questions). Tallandier. ISBN : 979-10-3395-5. 328 pages. 16,90 €

 

L’Arménie entre la Russie et l’Occident

La monographie qu’Anna Mkhoyan consacre à l’Arménie s’ouvre sur une analyse des relations entre l’Europe de l’Ouest et la Russie au XXe siècle et au début du XXIe siècle, qui tisse ainsi la toile de fond sur laquelle s’insère le positionnement de ce pays marqué, en 2018, par la révolution de velours. L’auteur analyse ensuite les votes des États post-soviétiques dans le système multilatéral par rapport à la Russie et à l’Occident de 1997 à 2018 et souligne l’alignement de l’Arménie sur la Russie. Globalement, 70% des votes arméniens, lors des sessions de l’Assemblée générale des Nations unies, coïncident ainsi avec les votes russes. Parmi les divergences figurent les votes concernant l’Iran, pays avec lequel les relations économiques se sont renforcées entre 2009 et 2017. Cette proximité de l’Arménie avec la Russie s’explique, selon Anna Mkhoyan, par les accords de défense qui lient les deux pays et par la place prise par les entreprises russes dans son économie, en particulier dans le secteur énergétique, même si l’UE s’est également affirmée comme un partenaire économique majeur de l’Arménie. En 2017, 24% du commerce extérieur de l’Arménie était réalisé avec l’UE et 27% avec la Russie. L’auteur note enfin que l’opinion publique arménienne est nettement plus favorable à l’UE qu’à l’OTAN. Selon un sondage de 2018, l’UE ne se classe cependant qu’en 3e position en tant que partenaire politique important de l’Arménie, au même niveau que la Géorgie (37% des personnes interrogées), derrière la Russie (78%) et la France (60%), mais devant les États-Unis (30%). (O.J.)

 

Anna Mkhoyan. L’Arménie entre la Russie et l’Occident – Quelle évolution dans un environnement complexe ? Peter Lang. ISBN : 978-2-8076-1161-0. 212 pages. 39,00 €

 

Bilan de l’Agenda numérique européen : quand la poussière retombe

La revue de l’Union européenne consacre son numéro de janvier au droit numérique dans l’UE, avec notamment un article de Valérie-Laure Benabou, Laurent Cytermann et Célia Zolynski qui dresse le bilan de la construction d’un marché unique du numérique « à marche forcée ». Les auteurs déplorent que la Commission soit restée ancrée dans cette logique, laquelle s’est avérée à de nombreux égards insuffisante pour saisir les enjeux propres à la révolution numérique. « Certains pourront considérer que l’approche par le marché jusqu’ici adoptée atteint ses limites face à la réalité de la circulation des données, qui se déploie en dehors de toute intervention juridique. L’effectivité des mobilités numériques est aujourd’hui fragilisée dans un contexte de concentration et de puissance des acteurs numériques essentiellement américains et chinois », observent les auteurs.

Si l’un des acquis de la législature écoulée est l’introduction dans le droit positif des « plateformes », véhicule d’une nouvelle approche de la responsabilité des intermédiaires du numérique, ils regrettent que le législateur n’ait pas retenu une définition commune de cette notion de plateforme. Et d’expliquer : « Il est par exemple curieux que la directive DAMUN (droits d’auteur dans le marché unique) et le règlement P2B (Platform to business) définissent les plateformes comme un type de service de la société de l’information, alors que la directive SMA (services de média audiovisuels) les définit comme un type de service au sens des articles 56 et 57 du TFUE. Il est plus curieux encore que la recommandation de la Commission européenne du 1er mars 2018 sur les mesures destinées à lutter, de manière efficace, contre les contenus illicites en ligne se fonde, quant à elle, sur la notion d’hébergeur, alors qu’elle s’adresse au même type d’acteurs. Il en résulte une complexification des catégories juridiques applicables aux intermédiaires du numérique ».

La tentative européenne d’apparaître comme un modèle de régulation du numérique s’est sans doute illustrée avec le plus de succès dans la protection des données à caractère personnel. Le RGPD s’est en effet très vite imposé comme un standard mondial, y compris en Inde ou au Canada. Pour autant, la rhétorique de souveraineté affichant la volonté d’appliquer un corpus juridique européen même aux acteurs extraeuropéens dans la mesure où leur activité s’accomplit sur le territoire européen continue d’achopper sur la localisation des serveurs ou le recours au cloud. « La combinaison d’une réalité technique – l’essentiel des solutions du cloud est opéré par des acteurs nord-américains – et d’une capacité d’ingérence des États-Unis par des législations à portée extraterritoriale constitue une offensive en face de laquelle la réponse européenne demeure en deçà des enjeux de souveraineté qu’elle prétend défendre », estiment les auteurs. (OJ)

 

Valérie-Laure Benabou, Laurent Cytermann et Célia Zolynski. Bilan de l’Agenda numérique européen : quand la poussière retombe. Revue de l’Union européenne. Numéro 634 – Janvier 2020. Éditions Dalloz. 50,03 €

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