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Bulletin Quotidien Europe N° 12353

22 octobre 2019
Sommaire Publication complète Par article 21 / 21
Kiosque / Kiosque
N° 001

Cher abonné, cher lecteur,

 

Veuillez trouver ci-après le premier numéro de notre bimensuel Kiosque, en remplacement de notre Bibliothèque européenne, qui était brillamment dirigée par feu Michel Theys pendant presque vingt ans. Nous pensons que la Bibliothèque européenne lui appartenait, et avons décidé d’inaugurer Kiosque, sous la direction d’Olivier Jehin, ancien rédacteur en chef au sein d’Agence Europe. Deux fois par mois, Kiosque recensera les meilleurs livres, ouvrages, publications et études sur l’Union européenne.

 

Où va le Royaume-Uni ?

Pauline Schnapper et Emmanuelle Avril, toutes deux professeurs de civilisation britannique contemporaine à l’université Sorbonne nouvelle-Paris III, analysent dans cet ouvrage le processus qui a conduit au Brexit et les conséquences qui en découlent pour le Royaume-Uni et, au-delà, pour l’Europe, affectée dans son ensemble par une crise du système politique dont le Brexit est le révélateur.

Le vote pour le Brexit va en réalité plus loin qu’une simple manifestation de la crise de confiance traversée par l’Europe, estiment les auteurs qui y voient « un rejet du système politique traditionnel et de ses acteurs ». Certes, l’euroscepticisme britannique est ancien et il a été nourri au fil des années par les discours des grands partis britanniques et d’une presse, dont les rôles respectifs sont soigneusement analysés dans l’ouvrage, mais le vote est d’autant plus irrationnel que ce sont des régions qui bénéficient massivement des fonds structurels de l’Union européenne, comme le nord de l’Angleterre, la Cornouaille ou le pays de Galles qui ont voté à une large majorité pour en sortir. Le Brexit traduit ainsi en réalité un repli sur soi à caractère identitaire, analogue à celui qui se rencontre dans d’autres pays européens. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes que le vote par lequel les Britanniques entendent se distinguer les conduise en fait à exprimer le malaise politique que les autres Européens, faute de référendum, n’ont jusqu’à présent pu exprimer qu’au travers d’élections diverses.

Le Brexit a produit le chaos. Est-il encore possible d’en sortir par le haut, au travers d’une sortie négociée ou au moyen d’une annulation de l’article 50 ou d’un nouveau référendum ? Rien n’est moins sûr. La défiance envers la classe politique britannique est telle que tous les sondages récents montrent que plus de la moitié des personnes interrogées considèrent que les partis politiques ne s’intéressent qu’à leurs voix ou encore que « peu importe quel parti gouverne, de toute façon rien ne change ». En 2012, cette dernière affirmation avait même recueilli l’approbation de 71% des personnes interrogées. Dans ces conditions, il semble irréaliste de vouloir arrêter le processus et l’on comprend aisément la posture de Boris Johnson qui, en se présentant comme le plus déterminé à appliquer le choix des électeurs, quel qu’en soit le coût, a toutes les chances de devenir le Premier ministre qui aura sorti le Royaume-Uni de l’Union européenne.

« Les conséquences économiques du Brexit dépendront de l’accord qui sera ou non trouvé avec l’Union européenne et des obstacles qui seront levés ou pas aux échanges entre le Royaume-Uni et le continent, qui représentent près de la moitié de ses échanges commerciaux », constatent Mmes Schnapper et Avril qui relèvent que toutes les options commerciales seront de toute manière moins favorables pour le Royaume-Uni que la situation actuelle. Quant aux discours qui évoquent une « Global Britain », la relance du Commonwealth, des accords de libre-échange et/ou un renforcement de la « Special Relationship » avec les États-Unis, ils se caractérisent pour l’essentiel par des illusions. Il n’est pas certain que le public britannique accepte d’importer, par exemple, les poulets au chlore ou le veau aux hormones américain qu’interdit l’Union européenne ou, pour reprendre un autre exemple cité par la presse britannique, que les entreprises américaines mettent leurs pieds dans le système de santé britannique, notent les auteurs. Et d’ajouter : « L’avenir de la relation spéciale, du moins tant que Trump sera locataire de la Maison-Blanche, est loin d’être forcément radieux ».

Sans cap assuré vers lequel se diriger, où peut bien aller le Royaume-Uni ? Ses leaders, observent Pauline Schnapper et Emmanuelle Avril, ont tous, « d’une façon ou d’une autre, contribué à précipiter la crise du Brexit » et « prétendent aujourd’hui pouvoir défendre les intérêts du pays et de sa population alors qu’ils naviguent à vue dans un épais brouillard ». Et de conclure : « Par aveuglement ou pure mauvaise foi, ils prétendent croire pouvoir mettre en œuvre leur projet politique en dépit des nouvelles réalités que va leur imposer le Brexit. Il semble donc que, dans un avenir proche, les choses soient vouées à aller beaucoup plus mal avant d’avoir une chance d’aller mieux. D’une certaine façon, le Royaume-Uni n’a pas encore touché le fond. Il faudra peut-être attendre que les effets du Brexit – dévastation de régions déjà exsangues, montée de l’extrême droite, éclatement de l’Union (britannique) – se fassent vraiment sentir pour qu’un sursaut démocratique se produise et que l’on puisse de nouveau envisager de parler d’un exceptionnalisme britannique ». Olivier Jehin

Pauline Schnapper, Emmanuelle Avril. Où va le Royaume-Uni ? Le Brexit et après. Editions Odile Jacob (http://www.odilejacob.fr ). ISBN : 978-2-7381-4853-7. 261 pages. 22,90 €

 

Le populisme en Europe centrale et orientale

Si l’actualité nous rappelle au quotidien que le populisme n’est pas l’apanage d’un pays ou d’un groupe de pays, mais bel et bien un virus qui affecte, sous des formes variables, un nombre croissant de pays, Roman Krakovsky décrypte ici l’histoire de ce phénomène en Europe centrale et orientale au 19e et au 20e siècle et analyse sa résurgence au 21e siècle.

En 1989, la chute du communisme est saluée comme une victoire de la démocratie sur l’autoritarisme. Trente ans plus tard, c’est dans cette partie du continent qui vient à peine de renouer avec la liberté et la démocratie que se développent les formes les plus virulentes et les plus efficaces du populisme européen. Pour comprendre ce qui apparait comme un paradoxe, l’historien Roman Krakovsky, maître de conférences à l’université de Genève, nous invite à nous replonger dans l’histoire de cette partie de l’Europe.

Pour ce faire, après avoir souligné que « la montée du populisme est toujours une réaction à une situation de crise systémique », l’auteur nous rappelle que le populisme émerge dans la Russie impériale de la deuxième moitié du 19e siècle, avec les narodniki qui idéalisent le village et les valeurs de la communauté paysanne pour développer, dans une Russie encore presque exclusivement agricole, un modèle économique différent de celui des puissances occidentales. « L’individualisme et le rationalisme occidental seraient étrangers au « génie de la Russie », fondé sur l’esprit communautaire et la foi religieuse, garants d’harmonie sociale et spirituelle. Pour que la Russie recouvre sa grandeur et sa place dans l’histoire, il faudrait renouer avec ses valeurs traditionnelles » qui sont à puiser dans les figures du paysan et du village, résume l’auteur. Ce prédicat du peuple paysan aux valeurs traditionnelles supérieures comme creuset de l’identité nationale sera au cœur du développement des mouvements agraires dans tous les pays issus du démantèlement des empires après la Première Guerre mondiale. Dans les années 30, une radicalisation s’opère avec des défilés (para-) militaires comme ceux de la Garde orange en Bulgarie, de la Garde de fer en Roumanie ou de la Garde de Hlinka en Slovaquie. Après la Deuxième Guerre mondiale, un populisme communiste mettant en scène le « peuple travailleur » en lutte contre l’impérialisme capitaliste remplace celui des mouvements agrariens.

Cette histoire souligne que l’Europe centrale et orientale a longtemps baigné dans le populisme, mais elle n’explique pas à elle seule le basculement de ces pays vers des formes de démocraties « illibérales », d’autant que ces États, qui ont très largement profité des fonds structurels depuis leur adhésion à l’Union, connaissent pour la plupart une période de boum économique à partir des années 2000. Des dirigeants populistes arrivent au pouvoir en République tchèque alors que celle-ci connait un des taux de chômage les plus faibles d’Europe (2,9% contre 7,6% pour la moyenne européenne en 2017) ou en Pologne qui connait une croissance de 4,2% avec le taux de chômage (4,7%) le plus bas depuis 25 ans. Pour Roman Krakovsky, il faut dès lors chercher dans les peurs que nourrissent la globalisation et le regain d’insécurité géopolitique, avec en particulier la perception de la menace russe, une des raisons du succès du populisme. Les attentats terroristes et la vague d’immigration de 2015-2016, sur fond de crise démographique, renforcent encore ces peurs. Outre un taux de fécondité en berne (1,43% en République tchèque, 1,33% en Pologne et 1,25% en Hongrie en 2011), ces pays sont confrontés à un solde migratoire qui dépasse partout 10% de la population, largement au-delà de celui que l’on observe en Afrique. Depuis 1989, la Roumanie a perdu 14% de sa population, la Bulgarie et la Lituanie 21% et près d’un million de Polonais vivaient en 2015 dans la seule Grande-Bretagne. Selon l’auteur, il n’en faut pas plus pour que le migrant devienne « une figure d’une démocratie libérale réaliste et hypocrite qui, pour conserver son image supérieure de la patrie universelle des droits de l’homme, est prête à abandonner une partie de sa population ». Le migrant est perçu comme un déraciné et un danger pour les valeurs chrétiennes de la communauté locale. Dans son discours sur l’état de la Nation en février 2018, Viktor Orbán peut ainsi se profiler en rempart contre le danger du « grand remplacement » : « Si on laisse cette masse de plusieurs centaines de milliers de jeunes monter vers le nord, l’Europe se trouvera rapidement mise sous une pression insoutenable (…) et notre culture, notre identité et notre nation cesseront d’exister telles que nous les connaissons aujourd’hui. Nos pires cauchemars se réaliseront ». En mars de la même année, il renchérit : « L’Europe est déjà aujourd’hui envahie. (…) La partie occidentale de l’Europe assiste à cela les mains en l’air. (…) Si nous ne protégeons pas notre mode de vie, il n’y a plus de raisons de lutter ».

Entre Brexit, instabilité mondiale, insécurité géopolitique et flux migratoire, c’est bien à une crise existentielle que l’Union européenne est aujourd’hui confrontée, mais celle-ci est bien plus fortement ressentie à l’Est, où les populations ont connu au 20e siècle une ère de forte homogénéité culturelle. Le populisme teinté de nationalisme qui y est à l’œuvre a certes conduit à un renforcement du pouvoir de l’État, avec diverses formes de contrôle des médias et, dans certains cas, du pouvoir judiciaire et des institutions culturelles, mais, pour l’heure, ces « démocraties illibérales » n’ont encore fait que glisser vers l’autoritarisme. L’Union européenne peine à réagir de façon efficace à ces dérives et se retrouve dans la situation paradoxale de devoir soutenir financièrement des gouvernements qui s’attaquent à la démocratie. « Conditionner l’octroi de ces fonds aux principes démocratiques et libéraux et renforcer les mécanismes de contrôle conduirait à renverser le rapport de force qui joue à l’heure actuelle en faveur des gouvernements autoritaires et corrompus », estime Roman Krakovsky. Et d’ajouter : « Les débats passionnés que soulèvent aujourd’hui les tentatives de Budapest ou de Varsovie de réécrire leur histoire pour renforcer la nation ou pour mieux légitimer leurs actions pourraient être une occasion de rappeler notre attachement à la vérité et à la liberté. Cet héritage des Lumières n’a rien perdu de son actualité et doit nous éclairer dans une époque de « faits alternatifs » et de replis identitaires où l’avenir serait un retour au passé ». O.J.

Roman Krakovsky. Le populisme en Europe centrale et orientale. Un avertissement pour le monde ? Fayard. ISBN : 978-2-213-70596-5. 341 pages. 22 €

 

No Guts, no Glory

Le titre de cet ouvrage publié à compte d’auteur laisse entendre qu’il faut en avoir (des tripes ou, de façon plus impudique, autre chose) pour espérer ou atteindre la gloire. Et Brian McDonald, fonctionnaire européen de 1973 à 2010, ne prend pas de pincettes pour décrire le monde dans lequel nous vivons. Laissant loin derrière lui la langue de bois à laquelle il a sans doute (trop) longtemps dû se contraindre, le diplomate (il a été en poste à Genève, à l’OCDE, aux Nations unies, à Hong Kong, Taipei et en République de Corée) se lâche. Il en résulte 600 pages d’analyse, de convictions fortes et de critiques virulentes, avec en toile de fond la nécessité pour l’Union européenne d’avoir une politique étrangère forte, appuyée sur une défense robuste.

Plaidant pour une Europe politique, Brian McDonald déplore les faiblesses institutionnelles de l’Union européenne, avec des États membres qui privilégient leurs intérêts nationaux par rapport à l’intérêt général. Il déplore la persistance du système intergouvernemental et estime que, même pour la PSDC, « le vote à la majorité qualifiée deviendra inévitable à long terme, ne serait-ce que du fait du déclin des capacités dû aux coupes budgétaires ». Répondre à la demande de Donald Trump visant à obtenir des alliés européens qu’ils investissent dans les dépenses de défense jusqu’à 4% du PIB est, selon lui, possible avec une armée européenne intégrée et des systèmes communs d’armement dans le cadre de l’UE, seule à même d’offrir les outils juridiques pour des acquisitions conjointes.

Les critiques visent le service d’action extérieure, la manière dont il a été structuré, le poids des diplomates nationaux en son sein, le néocolonialisme de certains États membres, le nationalisme et le populisme. Et le feu n’en est pas moins nourri pour Trump, Poutine, Johnson, Farage, Orbán et bien d’autres. Seul Macron s’en sort plutôt bien : « Lui au moins parle de l’avenir avec espoir, clarté et une attitude constructive ». O.J. 

Brian McDonald. No Guts, no Glory. A Foreign Policy for the European Union. ISBN : 978-0-244-47537-6. 602 pages. 33 €

 

Accrochons-nous aux étoiles

Avec ces étoiles auxquelles s’accrocher, le titre offrait une part de rêve et l’espoir d’un plaidoyer créatif en faveur d’une construction européenne, bien réelle, mais qui demeure inachevée et peine à trouver un narratif convaincant en ce début de 21e siècle. Le rêve ne fut pas vraiment au rendez-vous et l’on est même assez vite tenté de décrocher de cet ouvrage collectif qui doit beaucoup à la plume de Jean-Paul Picaper, vice-président de Paneurope France, ancien professeur de sciences politiques à Berlin, puis correspondant du quotidien français Le Figaro en Allemagne. On y trouve certes une préface qui met utilement en lumière les effets de la diffusion simultanée de l’euro et de l’Internet et un article bien documenté sur les différences culturelles, historiques et politiques entre l’Allemagne et la France qui expliquent les nombreux ratés du fameux « moteur franco-allemand », mais on peine à percevoir la cohérence d’ensemble de cette compilation d’articles. À noter, pour les amateurs du genre, une vibrante défense du siège strasbourgeois du Parlement européen, qui fait fi de son coût et des conséquences environnementales et politiques de son maintien, ainsi qu’un plaidoyer pour une taxe européenne sur les transactions financières. O.J. 

Paneurope. Accrochons-nous aux étoiles. L’Europe hier, aujourd’hui, demain. Jérôme Do Bentzinger Editeur. ISBN : 978-2-849-60702-2. 225 pages. 24 €

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