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Bulletin Quotidien Europe N° 13473

3 septembre 2024
Sommaire Publication complète Par article 22 / 22
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N° 112

Comprendre les enjeux de la guerre Israël – Hamas

C’est en historien, mais aussi en spécialiste de cette zone d’opérations, qu’il scrute depuis vingt ans, notamment au milieu des années 2000 comme officier traitant à la division recherche de retour d’expérience pour le Moyen et Proche-Orient au Centre de doctrine d’emploi des forces de l’École militaire à Paris, que Michel Goya décrypte, en remontant jusqu’à ses racines, le conflit actuel qui oppose Israël au Hamas depuis l’attaque particulièrement barbare du 7 octobre 2023.

Officier des troupes de marine et docteur en histoire contemporaine, l’auteur s’attache ainsi à inscrire ce conflit dans le temps long d’une guerre sans fin, entrecoupée de trêves et d’actions militaires qui s’apparentent davantage à des opérations de police. Une guerre perpétuelle aux acteurs multiples, mais qui, dès l’origine, vise à nier le droit à l’existence de l’État d’Israël ou à l’inverse à en assurer la survie, nous rappelle Michel Goya. Loin des passions ordinaires et avec toute la pédagogie nécessaire pour permettre d’en comprendre les enjeux.

Rappelant que l’État israélien a décidé en 2000, puis en 2005, de successivement « sortir du bourbier libanais comme de Gaza en laissant le Hezbollah et le Hamas s’y installer, croyant ainsi maintenir leur menace à distance », l’auteur constate que « ce faisant, les Israéliens ont échangé des bourbiers contre un destin à la Sisyphe, condamnés à recommencer éternellement la même petite guerre ». « La différence avec le mythe grec est qu’Israël se sentait suffisamment fort pour pouvoir faire cela éternellement sans trop en souffrir ». Jusqu’à cette date du 7 octobre 2023, qui marque une réelle rupture, avec des « règles du jeu (qui) ont changé d’un coup ».

Fruit de l’histoire, la culture stratégique d’Israël est d’abord marquée par la menace existentielle des États arabes, qui ne reconnaissent pas son existence et n’offrent d’autre solution au jeune État que de « créer une grande muraille de protection, à la manière de la ligne Maginot, ou de porter le fer très vite chez l’ennemi », rappelle Michel Goya. Le coût d’une muraille étant trop élevé, le choix est fait de frapper vite et fort, préventivement et/ou en représailles. Il en découle le développement d’une force de supériorité et de frappes aériennes visant à dissuader par la perspective de représailles disproportionnées. Cette culture va aussi irriguer la réponse à une autre menace, asymétrique et diffuse, celle des fedayin palestiniens et des diverses organisations politico-militaires ou terroristes qui vont se développer au fil du temps. Avec là un effet inverse à celui recherché, les représailles nourrissant un engrenage de rancœurs et de vengeances.

Après avoir passé en revue les différentes phases de guerre et d’opérations de police qui ont émaillé l’histoire d’Israël, avec les moyens déployés, les tactiques employées et leurs bilans, l’auteur constate que la « seconde guerre du Liban » montre en 2006 que « le Hezbollah a su former des unités d’infanterie d’un bon niveau tactique » capables de « rivaliser avec celles d’une armée régulière comme Tsahal ». Avec à la clef un échec israélien qui est « une grande surprise ». Mais sans comparaison avec la guerre déclenchée le 7 octobre 2023, lorsque « l’attaque par des roquettes (de l’ordre de 2 500 sur la journée sur une grande partie du territoire israélien) sert sans doute à masquer l’assaut sur toute la barrière qui entoure le territoire de Gaza ».

« Les explosions de roquettes et de mortiers couvrent le bruit des attaques directes sur la barrière et surtout neutralisent beaucoup de militaires en les obligeant, selon la procédure, à rejoindre les abris », écrit Michel Goya, avant de poursuivre : « Grâce à un plan de ciblage extrêmement précis et en utilisant tout ce qui pouvait tirer à distance, snipers lourds, missiles antichars et – véritable nouveauté – une flotte de petits drones-munitions bricolés, le Hamas détruit caméras optiques et thermiques, détecteurs de mouvement, antennes-relais sur la clôture et les tours de guet ainsi que les mitrailleuses téléopérées placées dans de petites tours en béton. (…) Sans signaux cellulaires, le système de surveillance et de défense israélien est devenu inutilisable. Alors qu’en ce matin de shabbat et de fête rabbinique de Sim’Hat Torah l’attention est déjà minimale (et qu’à la demande des ultra-orthodoxes l’effectif militaire israélien est réduit), les soldats affectés dans les salles de contrôle des postes en arrière de la clôture ne reçoivent que quelques alarmes confuses. La barrière intelligente à un milliard d’euros est devenue pratiquement sourde et aveugle ». Ce qui permet à près de 2 900 combattants de pénétrer sur le territoire israélien « avec la volonté d’aller le plus profondément possible, jusqu’à Ofakim, à 20 km de la frontière, et y mener une guérilla de plusieurs jours, voire de plusieurs semaines, comme l’atteste la masse de munitions et de vivres emportés dans l’expédition ». L’auteur estime qu’« il s’agit certainement du coup le plus violent porté contre Tsahal depuis octobre 1973 », avec 461 soldats et policiers israéliens tués, auxquels s’ajoutent 843 victimes civiles, dont 30 enfants, et environ 267 personnes prises en otage.

La riposte israélienne a été massive, avec environ 29 000 projectiles aériens lancés sur Gaza entre octobre et le 14 décembre 2023, « soit une moyenne de 400 pour chaque jour de guerre, hors trêve ». « En face, non seulement le Hamas ne fait aucun effort particulier pour protéger la population, dans ses abris souterrains par exemple, mais encore le martyre de cette population est une arme dans le champ médiatique – et l’armée israélienne lui fournit de nombreuses munitions », constate Michel Goya. Si les frappes aériennes suivent de près l’attaque palestinienne, l’offensive terrestre de l’armée israélienne ne débute que le 27 octobre.

À l’inverse des États-Unis, qui consacrent depuis 2018 deux à trois milliards de dollars par an à l’amélioration de l’efficacité des groupes d’infanterie, « Israël, comme la quasi-totalité des autres nations, n’a pas effectué cet effort qui aurait peut-être permis d’engager les forces terrestres tout de suite, sans lancer au préalable une campagne de frappes contre-productive, et avec de bonnes chances de vaincre moins difficilement à travers les rues de Gaza », estime l’auteur. Et de poursuivre : « Au lieu de cela, l’infanterie israélienne n’est finalement pas beaucoup mieux préparée et équipée qu’en 2014 et même qu’en 2008, époque où elle avait été remise à niveau après un long déclin de ses capacités. L’infanterie du Hamas, de son côté, avait beaucoup progressé jusqu’en 2014 et il est possible qu’elle ait encore un petit peu élevé le niveau tactique de ses bataillons en même temps que leur nombre. Toutes choses égales par ailleurs, les bataillons (ou groupements) de combat de chaque camp sont sensiblement de même niveau tactique ».

La paix est-elle néanmoins possible ? « On ne voit pas comment la conquête et la tentative de contrôle de Gaza, ainsi que l’évolution de la situation en Cisjordanie ne pourraient pas déboucher sur une guérilla permanente et deux bourbiers sanglants, comme au temps des Intifadas, mais en plus violents », répond l’auteur, en rappelant aussi que « le gouvernement israélien actuel est un mort-vivant politique, qui ne doit sa survie qu’à la poursuite de la guerre ». Conclusion : « Il faudra sans doute aller jusqu’au bout de cette catastrophe pour trouver l’énergie de tendre vers quelque chose qui ressemblera davantage à la paix ». Avec le concours des États arabes – Égypte, Jordanie et Arabie saoudite en tête – qui « souhaitent secrètement la destruction du Hamas et la normalisation des relations avec Israël », mais ne peuvent l’afficher ouvertement. Ils font impérativement partie de la solution. (Olivier Jehin)

Michel Goya. L’embrasement – Comprendre les enjeux de la guerre Israël-Hamas. Robert Laffont. ISBN : 978-2-2212-7544-3. 238 pages. 19,00 €

Migration : un fait total

Après une première partie qui parcourt le temps long, en décrivant l’évolution des phénomènes migratoires, le sociologue Felice Dassetto s’attache à montrer combien il est fallacieux de circonscrire l’appréhension de la migration à une seule dimension, qu’il s’agisse du marché du travail et des intérêts économiques ou encore des effets sur la démographie. « Mais du point de vue des implications du choix de considérer les migrations comme fait social total, notons qu’il n’est pas non plus suffisant de regarder les migrations uniquement du point de vue du migrant lui-même », poursuit l’auteur, qui y voit « une tendance majeure du mode de déroulement des migrations contemporaines et des débats et polémiques engendrés ».

Si, comme le rappelle l’auteur, le concept d’intégration, né aux États-Unis, est discutable, il n’en demeure pas moins que « l’insertion des nouveaux venus dans une société est un enjeu majeur pour bâtir un ensemble social et politique et pour fonder une démocratie ». « Dans les pays européens, dont l’identité est ancrée dans une longue histoire civilisationnelle, le cadrage général de cette question doit trouver un chemin propre, bien différent du nord-américain (ou australien…) que l’on a tendance à imiter et dont le modèle migratoire donne une priorité au marché du travail et à l’approche individualiste, tout en l’inscrivant dans la logique de la puissance américaine. Ce modèle tend d’ailleurs à vouloir s’universaliser, notamment à travers les instances onusiennes ou l’OCDE », constate Felice Dassetto, avant de poursuivre : « Les logiques d’intégration européennes sont en bonne partie différentes des nord-américaines. L’Europe doit inventer un modèle propre et l’annoncer clairement, sous peine de voir ses propres populations se révolter (comme elles commencent à le faire) et au risque d’introduire des malentendus sur elle-même et d’engendrer du ressentiment chez les immigrants ».

Parmi les leçons des migrations récentes, l’auteur souligne que « les ‘intégrations’ des nouveaux venus sont à la fois plus faciles, car les populations sont en général scolarisées et pré-socialisées à la vie urbaine, et plus complexes, car les médias satellitaires, les technologies de communication, les États d’origine sont autant de canaux par lesquels les migrants formulent des projets migratoires en partie déconnectés des sociétés où ils s’installent et tendent à y vivre davantage dans une bulle ».

Et de constater : « Cette réalité sociologique pose en termes nouveaux la question de ‘l’intégration’. Complexité supplémentaire, dans le contexte des migrations contemporaines, les affirmations identitaires, souvent insérées et théorisées par des chercheurs et penseurs issus des migrations dans une posture dite ‘post-coloniale’, tendent à se distancier de la société d’arrivée, dont la culture est considérée dominante et aux relents néocoloniaux, mais qui, de manière paradoxale, est souvent à l’origine même des mouvements migratoires. De cette posture découlent aussi des revendications en termes de droits et d’affirmation identitaire. En ressortent une plus grande complexité, une relative confusion de positions et de mises en question des identités locales au nom du pluralisme culturel, qui rend encore plus difficile la mise en place de politiques cohérentes d’intégration. Cette confusion se nourrit aussi de ‘ressentiments’ réciproques ».

Si « l’affirmation du pluralisme est certainement une avancée dans la vision des migrations au sein du monde globalisé contemporain », « en rester là, comme c’est souvent le cas, ne contribue pas à la formulation de projets politiques et sociaux collectifs (sauf celui d’affirmer le pluralisme) et a comme résultat l’exacerbation des identités ethniques ou ethno-nationales », observe à juste titre Felice Dassetto, non sans souligner que deux extrêmes doivent absolument être évités : « Les renfermements identitaires, aboutissant à l’idée d’une société qui résulte des juxtapositions de groupes séparés et (…) une vision des sociétés et d’identités comme flux liquides et changeants ». D’où le concept de « co-inclusion réciproque » avancé par l’auteur pour promouvoir une dynamique de prise en compte réciproque du « point de vue et de l’histoire de l’autre pour entamer un processus transactionnel ».

« Tant en ce qui concerne la gestion de flux de migrants qu’en ce qui concerne les politiques migratoires, les pays européens chercheront chacun de son côté à faire quelque chose. Mais la solution ne pourra résulter que d’une logique européenne. Et ce sera une question de temps moyens-longs », écrit Felice Dassetto, tout en déplorant que les instances européennes aient encore, à ce stade, « une vision incomplète (…) et incertaine de ce que pourrait être une politique migratoire européenne ». Ainsi, la Commission européenne restreint sa doctrine à « considérer la migration comme facteur de production », observe l’auteur avant de regretter que le programme Global Gateway, qui doit « déverser sur l’Afrique 150 milliards d’euros pour inaugurer un nouveau type de partenariat », se concentre essentiellement sur les investissements dans des infrastructures, sans établir de liens entre ces financements et les migrations ou « les circulations entre les pays africains et les pays européens ». (OJ)

Felice Dassetto. Migration : un fait total – Nouveaux regards et nouvelles politiques. Presses universitaires de Louvain. ISBN : 978-2-3906-1453-1. 155 pages. 15,00 €

The Euro in a World of Dollar Dominance

Pawel Tokarski nous rappelle dans cette étude qu’en dépit d’une constante érosion, la position hégémonique du billet vert demeure. Avec une part de 59,17% des réserves de devises étrangères au 4e trimestre 2023, contre à peine 19,58% pour l’euro. Une part qui n’a que modérément progressé depuis l’introduction de la monnaie unique en 1999 (17,9%), même si elle a connu un pic à 27,7% au quatrième trimestre 2009.

Une faiblesse qui s’explique par de nombreux facteurs, dont la dominance du dollar sur le système de transactions financières SWIFT ou encore l’insuffisante intégration du marché des capitaux dans l’Union. 49,6% des importations dans l’UE étaient toujours libellées en dollars (contre 41,5% en euros) en 2022, souligne aussi l’auteur, qui observe d’importantes différences entre États membres de l’UE : la Bulgarie, Chypre, la Finlande, la Grèce, les Pays-Bas et la Pologne règlent plus de 60% de leurs importations hors UE en dollars, alors que la Slovénie est à moins de 22%.

Au-delà des divergences de vues entre Paris, où l’union monétaire est traditionnellement perçue comme un moyen de résistance face à la domination du dollar, et Berlin, où le renforcement du rôle international de l’euro est perçu comme devant conduire à son appréciation et, partant, à des risques pour le modèle économique allemand tourné à l’exportation, Pawel Tokarski souligne l’incapacité des États membres à se mettre d’accord sur une représentation unique de la zone euro au sein du FMI, comme l’avait proposé la Commission européenne en octobre 2015.

L’auteur n’en estime pas moins que la transition verte pourrait constituer une opportunité de renforcement du rôle international de l’euro du fait de la priorité accordée par l’Union à la lutte contre le changement climatique et à la transition vers des économies à faibles émissions de carbone. Déjà en 2022, 42% des obligations vertes mondiales étaient émises en euros, rappelle-t-il. (OJ)

Pawel Tokarski. The Euro in a World of Dollar Dominance – Between Strategic Autonomy and Structural Weakness. Stiftung Wissenschaft und Politik. February 2024. Cette étude peut être téléchargée gratuitement sur le site de la fondation : https://aeur.eu/f/dad

Les inflations

Avec 28 auteurs et en 19 articles, le numéro 153 de la Revue d’économie financière passe au crible les déterminants de différentes histoires d’inflations et suggère des pistes de retour vers une plus grande stabilité. Comme le résume Pervenche Berès, présidente de l’Association Europe – Finances - Régulations, « l’affirmation simpliste selon laquelle l’inflation est toujours, et en tout lieu, un phénomène monétaire n’est donc vraie que dans un sens étroit : elle est une perte de valeur des moyens de paiements ». « Dès lors, on ne peut conférer à l’une ou l’autre des politiques macroéconomiques l’exclusivité ou la dominance dans la poursuite du retour à la stabilité des prix. Il importe au contraire de combiner les composantes de ces politiques, c’est-à-dire approfondir le principe et les formes de leur coordination », ajoute l’ancienne députée européenne. (OJ)

Revue d’économie financière. Les inflations - Association Europe - Finances - Régulations. N° 153, 1er trimestre 2024. ISBN : 978-2-3764-7093-9. 324 pages. 35,00 €9

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