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Bulletin Quotidien Europe N° 13292

15 novembre 2023
Sommaire Publication complète Par article 31 / 31
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N° 094

L’Union européenne, puissance globale

Alors que la guerre se poursuit en Ukraine et que son environnement voit ressurgir d’autres conflits, l’Union européenne tente encore de mettre en ordre de marche sa diplomatie et de trouver la voie d’une relative autonomie stratégique. Cet ouvrage multidisciplinaire, qui rassemble une quarantaine de contributions académiques, brosse le portrait de cette puissance mondiale en devenir, qui a bien du mal à s’affirmer sur la scène internationale, même si elle parvient régulièrement à gérer certaines crises.

Nombre de faiblesses de l’Union européenne dérivent de sa structure et de l’absence de consolidation d’un véritable système fédéral. Elle y perd en identité de voix, en influence et en efficacité sur la scène internationale. Et son organe diplomatique, le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) est lui-même le fruit d’une construction biscornue, puisqu’il est en principe autonome, mais placé sous la responsabilité d’un Haut Représentant, qui est membre à la fois de la Commission européenne et du Conseil. Comme le rappelle Damien Bouvier (université de Savoie), « la gestion financière des délégations de l’Union européenne échappe en partie au SEAE, qui doit composer avec la Commission européenne en la matière ». Et « tous les crédits liés à la réalisation concrète des objectifs des délégations de l’Union apparaissent à la section (du budget général) dédiée à la Commission européenne », souligne l’auteur, qui observe aussi que « les représentants spéciaux de l’Union européenne n’ont pas été organiquement intégrés au service, mais s’analysent plutôt comme un outil du Conseil de l’Union européenne. (…) Le SEAE n’est pas (non plus) habilité à représenter l’Union européenne devant les juridictions internationales ». Enfin, s’il est « impliqué dans la négociation des accords internationaux », c’est uniquement de « façon marginale » et le SEAE ne joue en définitive qu’un « rôle secondaire dans la programmation des instruments de financement de l’action extérieure ».

Yves Tiberghien (université de Colombie-Britannique) souligne que « l’invasion russe en Ukraine initiée le 24 février 2022 a provoqué le plus grand mouvement de convergence stratégique transatlantique entre Europe (y compris la Grande-Bretagne et les États non membres de l’Union européenne), États-Unis et Canada ». Mais il juge cette convergence « partielle, conditionnelle et sans doute temporaire ». « Elle est conditionnée par le leadership de Joe (Biden - NDLR). Derrière cette convergence de réactions à un choc commun se profilent des facteurs structurels de profonde divergence, avant tout liés à la situation de la démocratie américaine, à la situation économique mondiale en transition et à des réactions différentielles face au basculement du pouvoir géopolitique des pays du Nord vers les pays du Sud, notamment la Chine », explique l’auteur.

Dans un article intitulé « Le Royaume-Uni dans le brouillard : relations avec les États-Unis et l’Union européenne depuis le Brexit », Adam Steinhouse (université d’Oxford) estime que « l’élaboration de la politique étrangère est moins bonne au Royaume-Uni en 2022 par rapport à la période avant le référendum sur le Brexit ». Le F.C.D.O. (Foreign, Commonwealth & Development Office) « est moins puissant qu’avant », écrit l’auteur, avant d’ajouter : « La stratégie britannique dans la politique étrangère n’est pas très développée (…). Les diplomates continuent de travailler de près avec les Américains dans les domaines de la sécurité, la défense et les services de renseignement, mais, à mon avis, les rapports sont moins étroits qu’auparavant dans d’autres domaines, surtout économiques. Par exemple, il est peu probable de voir un accord de libre-échange s’imposer entre le Royaume-Uni et les États-Unis à cause des réticences au Congrès américain. Pour les Américains, le Royaume-Uni n’est plus la bonne voie pour comprendre l’Union européenne. Les Britanniques ont moins d’influence dans l’Union européenne suite au Brexit et sont dans la position (…) d’être perçus comme ‘un acteur intéressé’, mais pas principal dans les affaires européennes, équivalent à la Norvège ou le Canada ».

L’ancien ambassadeur belge Raoul Delcorde nous rappelle que le concept d’autonomie stratégique, même s’il n’est apparu officiellement dans les textes qu’au cours de la dernière décennie, puise ses racines dans les guerres des Balkans des années 1990, qui avaient généré de premières discussions sur le renforcement de la capacité européenne à agir de façon autonome. Désormais, « l’autonomie stratégique est clairement plus qu’une conception défensive ou réactive », écrit l’auteur, qui poursuit : « Il ne s’agit pas seulement de défendre la façon dont l’UE fait les choses, mais aussi d’inclure une dimension de ‘façonnage proactif’ – une capacité à établir, modifier et appliquer des règles internationales, par opposition à l’obligation de suivre des règles établies par d’autres, comme les États-Unis ou la Chine. Il s’agit d’être un faiseur de règles plutôt qu’un suiveur de règles, un sujet plutôt qu’un objet des relations internationales. Si les Européens veulent participer au façonnage de l’environnement international sur la base de leurs valeurs et de leurs intérêts, à la fois dans leur environnement immédiat et dans leur environnement futur, ils doivent être en mesure de décider de la façon dont ils veulent s’y prendre ».

Christian Leuprecht et Joel J. Sokolsky (Collège militaire royal du Canada et université Queen’s) rappellent que « l’unilatéralisme est le principe fondamental qui soutient la tradition de la politique étrangère américaine ». Toutefois, « il ne devrait pas y avoir de doute quant aux États-Unis sous une administration Biden de tenir leurs engagements (sic), après les angoisses et les inquiétudes des années Trump », estiment les auteurs, qui poursuivent : « L’Amérique semble déterminée à diriger à nouveau. Pour l’élite de la politique étrangère américaine, qu’elle soit républicaine ou démocrate, libérale ou conservatrice, réaliste ou internationaliste, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a renforcé les doutes américains de longue date quant à la capacité des dirigeants européens, individuellement ou collectivement, à gérer leur propre sécurité. Bien sûr, il en va de même pour les alliés des Américains ailleurs dans le monde, mais l’OTAN rend les lacunes de l’Europe plus apparentes avec une plus grande influence des États-Unis pour influencer les résultats ». « L’UE aspire à un rôle de leadership plus important et plus cohérent, mais en grande partie grâce à l’utilisation de la puissance douce [soft power]. Il y a 25 ans, l’UE façonnait activement le voisinage européen. Aujourd’hui, au contraire, ce voisinage est façonné par la Russie, la Chine, la Turquie, l’Iran, l’Arabie Saoudite… Dans un voisinage de plus en plus concurrentiel, le pouvoir doux [soft power]ne fait pas le poids face aux effets cinétiques, expéditionnaires et offensifs que peut exercer l’Amérique, ni à ses capacités à agir de manière décisive en tant qu’acteur unitaire », affirment, non sans raison, les deux auteurs canadiens. Rappelant les propos d’Ursula von der Leyen du 16 février 2018, lors de la conférence sur la sécurité à Munich, lorsqu’elle était encore ministre de la Défense en Allemagne - « Nous voulons rester transatlantiques tout en devenant plus européens » -, ils observent que c’est ce qui est en train d’advenir au travers des forces multinationales dont l’Allemagne prend la direction, comme du reste – c’est moi qui ajoute – de l’initiative de défense antiaérienne, le European Sky Shield. Des initiatives qui s’inscrivent aussi dans une tendance de fond, qui conduit, avec le soutien des États-Unis, à la multiplication au sein de l’Alliance atlantique de coalitions internes ad hoc.

L’ouvrage n’offre pas seulement un panorama des relations extérieures de l’Union européenne dans toutes les directions, mais il consacre plusieurs parties aux crises et à leur gestion, au commerce et aux autres enjeux globaux, dont le numérique et le développement durable. (Olivier Jehin)

Olivier Delas, Mulry Mondélice et Olivier Bichsel (sous la direction de). L’Union européenne, puissance globale dans les relations internationales et transatlantiques. Bruylant. ISBN : 978-2-8027-7169-2. 767 pages. 93,00 €

Les réseaux sociaux : une révolution ?

Fondatrice d’Opinion Act, entreprise pionnière de l’analyse des opinions et des comportements sur les réseaux, mais aussi professeur de stratégie numérique à HEC et à l’École militaire en France, Caroline Faillet fait le point, dans cet article paru dans la revue Futuribles, sur les aspects tant positifs que négatifs de la prolifération des réseaux sociaux. « En 2023, environ 4,8 milliards de personnes dans le monde utilisent les réseaux sociaux et 83% en sont des utilisateurs actifs, passant en moyenne 2 heures 24 minutes (par jour - NDLR) sur leurs applications », note l’auteur, qui souligne que « la nécessité de trouver un modèle économique pour financer le développement de ces plateformes a conduit à l’adoption de stratégies qui ont perverti un modèle idéalisé ».

« La collecte et la valorisation des données des utilisateurs, ainsi que la stimulation des interactions sociales et des émotions par le biais d’algorithmes ont un nombre considérable d’externalités négatives », écrit l’auteur, avant de poursuivre : « Manipulation de masse, désinformation, montée de la haine en ligne, du cyberharcèlement et du trolling (consistant à polémiquer et à monter les internautes les uns contre les autres), addiction des adolescents sont régulièrement dénoncés sans que cela n’ait d’effet sur leur taux d’utilisation. Mais la perception change, selon le dernier Baromètre de la confiance politique du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) : les réseaux sociaux sont ce en quoi les Français ont le moins confiance (16%) ».

Les « supercommunautés » que génèrent les plateformes offrent « un accès rapide à une quantité massive d’informations, renforcent la connectivité et donnent la parole à tous, y compris aux minorités et aux exclus », rappelle, à juste titre, l’auteur. Mais Caroline Faillet estime aussi - et cela mériterait pour le moins d’être nuancé - que « les personnalités politiques et les gouvernements français utilisent désormais les réseaux sociaux pour communiquer directement avec les citoyens » et que « cela rend l’information politique plus accessible et renforce la transparence et la responsabilité des gouvernements ». Tout dépend évidemment, en France et ailleurs, de la qualité de cette « information », qui peut tout aussi bien n’être que de la communication, terme contemporain qui recouvre une variété de démarches allant de la simplification à la propagande, en passant par la promotion d’une action ou d’une politique.

Évoquant les travers des réseaux sociaux, l’auteur souligne que s’ils permettent à « tout un chacun » de s’exprimer dans le débat public, « la voix du quidam » y a « d’autant plus de pouvoir qu’elle a d’audience et de viralité (et) celle du sachant, pas forcément maître des codes des plateformes sociales, porte moins ». « Nous sommes entrés dans une ère de la post-vérité, celle où la vérité est l’opinion qui fait loi dans les conversations. Envahis par les photos et les vidéos, les réseaux sociaux privilégient les opinions à forte dimension émotionnelle. Rumeurs et désinformation prolifèrent », souligne l’auteur, qui poursuit : « Pour capter l’attention, l’algorithme de la plateforme sociale nourrit et enferme l’utilisateur dans une bulle informationnelle devenant une dangereuse tribune pour les idéologies nocives. Pour retenir l’utilisateur et susciter les émotions génératrices de données, l’algorithme propose des contenus de plus en plus radicaux. De troll, on devient hater (haineux), de sceptique, on devient complotiste, de sensible à sa silhouette, on devient anorexique… »

Non sans avoir évoqué le Digital Services Act et le Digital Markets Act mis en place au niveau européen, Caroline Faillet estime que « pour améliorer les réseaux sociaux, réguler leurs acteurs est nécessaire, mais pas suffisant, tant que leur modèle économique les conduira à tirer profit de nos failles cognitives et comportementales ». Elle explique qu’avec le Web 3.0, une solution pourrait venir des réseaux sociaux décentralisés qui laissent aux utilisateurs le contrôle de leurs données. « Un futur souhaitable des réseaux sociaux repose (aussi) sur la mise en place d’une identité numérique autosouveraine, c’est-à-dire gérée par l’utilisateur lui-même. Selon ce principe, les contacts, les photos et commentaires partagés sur les réseaux appartiendraient à l’utilisateur et bénéficieraient d’un mécanisme de consentement et de portabilité. Ainsi, il pourrait migrer d’Instagram à TikTok en emportant l’ensemble de ses données. C’est une nouvelle ère dans l’histoire du Web, une troisième vague d’usage et de maturité », écrit l’auteur, tout en reconnaissant que « l’application du Web3 qui déstabilisera les plateformes sociales actuelles n’existe pas encore ». Mais, ajoute Caroline Faillet, « l’Histoire nous a appris que les communautés sauront migrer vers les solutions qui outillent leur autonomisation (empowerment) ». Et de conclure : « Les plateformes sociales actuelles, colosses aux pieds d’argile qui ont libéré le pouvoir des communautés, pourraient donc voir ce même pouvoir se retourner contre elles ». (OJ)

Caroline Faillet. Les réseaux sociaux : une révolution ? Futuribles numéro 456, septembre-octobre 2023. ISBN : 978-2-8438-7471-0. 132 pages. 22,00 €

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