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Bulletin Quotidien Europe N° 12814

19 octobre 2021
Sommaire Publication complète Par article 31 / 31
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N° 046

La France n’a pas dit son dernier mot

 

La couverture de cet ouvrage ressemble à s’y méprendre à une affiche de campagne électorale. Le journaliste et polémiste français, dont tous les médias parlent en France comme à l’étranger avec force de superlatifs, n’est pas encore officiellement candidat à l’élection présidentielle française. Sa cote grimpe dans les enquêtes d’opinion et, après avoir tué Marine Le Pen, le voilà déjà pressenti pour faire face à Emmanuel Macron au second tour, selon un sondage du 13 octobre. Le temps est encore long d’ici mai 2022 et nul ne sait si « l’ouragan » Zemmour, comme le nomme le Corriere della sera, tiendra jusque-là. Le propre d’un ouragan c’est qu’il peut se renforcer ou s’affaiblir à mesure qu’il avance.

 

Fallait-il faire entrer cet ouvrage dans cette rubrique ? J’avoue avoir hésité. Et même n’avoir prêté jusqu’il y a peu aucun intérêt à ce pamphlétaire navigant entre la droite et l’extrême droite. Zemmour est agaçant, irritant, provocateur et donc forcément choquant, mais il n’en est pas moins intelligent. S’il s’adresse avant tout à une fraction de la population nostalgique d’une France aux clichés sépia et qu’on est en droit de se demander si l’avenir peut se conjuguer au passé, il n’en demeure pas moins qu’il plait, au point d’avoir vendu 165 000 exemplaires de « La France n’a pas dit son dernier mot » en à peine trois semaines. Cet ouvrage en dit donc autant sur l’état d’une partie de l’opinion publique française en pleine crise identitaire que sur son auteur et ses ambitions. Rien que de ce point de vue, il mérite d’être lu.

 

Son précédent essai à très gros tirage s’intitulait « Le suicide français » et relevait de la littérature décliniste. L’auteur poursuit ici dans la même veine, en dénonçant les mêmes maux (immigration de masse, islamisme, déclin industriel, etc.) et les mêmes acteurs, à commencer par les politiques de tous bords, les institutions judiciaires et l’Europe. Pourtant, comme le titre le sous-entend, il voit désormais poindre à l’horizon une renaissance nationale.

 

L’ouvrage se présente comme un journal de chroniques qui s’étalent du 22 avril 2006 au 2 décembre 2020, naviguant entre les événements politiques, la vie médiatique et judiciaire de l’auteur, ses rencontres dans les salons et restaurants parisiens. Échos de la vie parisienne, ces chroniques se transforment fréquemment en portraits, le plus souvent au vitriol, surtout lorsque des personnalités politiques sont visées. En revanche, le niveau intellectuel force l’admiration de l’auteur et parfois même ses adversaires bénéficient de ce fait d’une forme de mansuétude. Il est aussi des portraits qui sonnent très juste, comme celui de Simone Veil. Ailleurs, Zemmour est assassin. Il raconte ainsi avoir été invité en septembre 2020 par Xavier Bertrand qui lui aurait dit au sujet de la présidentielle : « Je sais que je n’ai pas le niveau. Mais plus personne ne l’a aujourd’hui. La présidentielle, ce n’est pas un examen, c’est un concours. C’est le niveau des autres qui compte ». Et le même Bertrand aurait ajouté : « Après 2022, que je gagne ou pas, il ne restera que deux candidats à droite : Marion (Maréchal-Le Pen) et toi ».

 

« Je suis un juif d’Algérie grandi en banlieue parisienne que l’héritage familial et les lectures ont transformé en Français de la terre et des morts », affirme Zemmour, qui revendique par ailleurs une ascendance berbère. Il dit à longueur de pages sa passion pour la grande littérature, mais aussi pour De Gaulle et Napoléon. Les thèmes du grand remplacement et du péril islamique reviennent comme un leitmotiv, avec des propos qui, sans être qualifiables d’incitation à la haine, n’en restent pas moins stigmatisants, même lorsqu’ils évoquent avec réalisme la situation dans certaines banlieues et zones de non-droit. Sur l’islam, il ne manque pas de citer l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, qui avait soufflé le concept de « seuil de tolérance » à François Mitterrand et estimait que l’islam « néantisait l’autre ». Il fustige le « politiquement correct », l’État de droit, dont il feint d’ignorer qu’il est l’unique rempart contre l’abus de pouvoir, et les droits de l’homme, qu’il présente comme une idéologie. Zemmour n’aime pas l’Europe, présentée comme l’agent d’une globalisation qui nuit à la nation, la monnaie unique, perçue comme un danger, l’Europe de la défense, jugée « chimérique ». « Nous devons remettre les juges français et européens et les commissaires bruxellois à la place qu’ils n’auraient jamais dû abandonner, au service des peuples et des nations, seule base de la démocratie », écrit-il avant d’ajouter : « L’État de droit et l’Union européenne ne sont pas une fin, mais un moyen ». Zemmour s’en prend aussi à l’OTAN, qui est pour la Maison-Blanche « un outil bien utile d’asservissement des prétendus ‘alliés’ », ce qui n’est pas entièrement faux, et y voit le moyen pour l’industrie américaine de soigner ses clients potentiels « contraints d’acheter du matériel made in USA au nom de ‘l’interopérabilité’ de l’Alliance », ce qui est très vrai.

 

« L’hypothèse de mon entrée fracassante en politique n’était que le symptôme – un de plus – de la désagrégation du système politique et de l’avilissement des institutions de la Ve République », reconnaît l’auteur au début de l’ouvrage. « Dans la vie des nations comme dans la vie des individus, on passe par des phases d’abattement qui précèdent un redressement ; par des phases de déclin qui annoncent une renaissance », écrit Zemmour en conclusion, avant de poursuivre : « Dans sa longue histoire, notre nation a souvent connu la mort en face, de la guerre de Cent Ans jusqu’à la débâcle de juin 1940. À chaque fois, un envahisseur nous submergeait par la force de ses armes et occupait des pans entiers du territoire national. (…) Mais à chaque fois, la France a trouvé en elle-même, au sein de son peuple, que ce soit Jeanne d’Arc, Bonaparte ou De Gaulle, un ‘homme providentiel’ qui porte le fer et rassemble les énergies au nom de la survie de la nation ». Mais cet homme providentiel ne serait-ce pas Éric Zemmour ? La modestie de l’auteur l’empêche de répondre directement à cette question, mais il nous offre à la place le récit d’un échange téléphonique avec Emmanuel Macron, qui ressemble à s’y méprendre à une préfiguration de débat d’entre deux tours.

 

Mais au fait, l’homme providentiel aurait-il un programme ? Disons qu’en cherchant bien, on en trouve une vague esquisse sur : - l’immigration (suppression du droit au regroupement familial, encadrement strict du droit d’asile, suppression du droit à la naturalisation des épouses étrangères, du droit des étudiants et du droit du sol) ; - la justice : rétablissement de la double peine pour les délinquants étrangers et déchéance de nationalité française pour les binationaux condamnés afin de permettre leur expulsion ; - l’islamisme : fermeture de toutes les mosquées salafistes ou dominées par les Frères musulmans ; - le social : application de la « préférence nationale » pour le versement des allocations (famille, logement, femme isolée, étudiant, etc.) et réduction de l’enveloppe globale de la part des allocations au bénéfice des investissements.

 

Zemmour, qui se complait dans les citations de grands auteurs, aurait peut-être aimé être Balzac. C’est à ce dernier et à son héros dans « Illusions perdues » et « Splendeurs et misères des courtisanes », Lucien de Rubempré, qu’il a emprunté le nom de la société éditrice de cet ouvrage. L’ennui pour lui, c’est que l’ouvrage débute sur une magistrale faute d’orthographe, répétée quatre fois : « J’ai pêché, je le confesse. Pêché d’orgueil, pêché de vanité, pêché d’arrogance ». Il est vrai que pour Balzac, « il n’y a pas d’orthographe pour le cœur » et sans doute Lucien aurait-il pardonné ce péché. Zemmour, s’il est finalement candidat, devra encore beaucoup pêcher. (Olivier Jehin)

 

Éric Zemmour. La France n’a pas dit son dernier mot. Rubempré. ISBN : 978-2-957-93050-0. 349 pages. 21,90 €

 

Brève histoire de Russie

 

Voilà une histoire qui se lit comme un roman, avec ses tragédies, ses histoires d’alcôves et sa part d’ironie. De Riourik à Poutine, les siècles d’histoire et de manipulation de l’histoire à des fins politiques défilent sans que jamais le lecteur ne se lasse. L’auteur, en effet, ne prétend pas faire une étude exhaustive et détaillée de la Russie, mais cherche « à suivre les splendeurs et les misères récurrentes de cette nation extraordinaire et à saisir comment les Russes ont compris, expliqué, mythifié et réécrit leur histoire ».

 

« L’une des raisons pour lesquelles l’histoire de la Russie est à la fois si vivante et commodément malléable aujourd’hui tient précisément à la passion avec laquelle elle a été réécrite au fil des siècles », souligne l’historien britannique Mark Galeotti, avant d’ajouter : « De nouveaux mythes se sont superposés aux anciens au cours du processus de création de cette identité palimpseste, puisque les populations de ce pays se sont évertuées à reconnaître leur défaut de force et d’identité commune en forgeant des légendes où le destin et la fragilité se sont mués en détermination et en fierté ». Au fil des pages, l’auteur nous montre comment la Russie s’étend pour tenir à distance les menaces qui l’environnent et comment, à mesure qu’elle avance, elle se trouve confrontée à de nouvelles menaces. Il nous fait partager ses prétentions à incarner la troisième Rome, alors qu’elle est très en retard sur l’Occident, mais aussi ce désir presque schizophrénique d’être européenne en restant à la marge de l’Europe.

 

Galeotti nous rappelle qu’au 19e siècle déjà « rivalisèrent différents mythes, qui tous liaient directement la Russie à l’Europe ». « Aux yeux des réformateurs, elle n’était pas assez occidentale. Pour les conservateurs, elle devait rejeter l’Occident, sous peine de sombrer dans le chaos. Quant aux révolutionnaires, ils se tournaient de plus en plus vers des idéologies élaborées en Europe et voyaient en elles des solutions miracles capables de propulser la Russie au premier rang des nations occidentales socialement et économiquement avancées. Peu disposée à accepter les changements qui étaient en train de remodeler l’Europe et, en même temps, refusant d’être exclue de celle-ci, la Russie était déchirée par les contradictions inhérentes aux histoires qu’elle se racontait à elle-même », écrit l’auteur.

 

Aujourd’hui, dans la Russie de Poutine, l’histoire est mise à profit pour légitimer un État fort qui doit se défendre bec et ongles, mais « ne pratique pas l’agression ». « Même la propagande toxique sur la chaîne de télévision publique, l’élimination d’observateurs indépendants et le rejet des normes et du suivi internationaux en matière de droits de l’homme, tout cela est réputé nécessaire pour contrer les ingérences étrangères ainsi que la ‘guerre de l’information’ », rappelle Mark Galeotti. Pourtant, « lorsque les Russes répondent à des sondages sur l’avenir auquel ils aspirent, le statut de grande puissance du pays et les craintes pour sa sécurité arrivent loin sur la liste ». « Ce qu’ils veulent avant tout, c’est non seulement mener une vie décente, mais la liberté d’expression, d’organisation et de manifestation, la fin de la corruption et le sentiment d’avoir leur mot à dire sur la façon dont leur société est organisée – autrement dit, toutes les libertés que nous tenons pour acquises dans les pays occidentaux », explique l’auteur.

 

Et Galeotti de conclure : « Après avoir été déchirée pendant des siècles entre le désir d’être acceptée par l’Europe et sa détermination farouche à faire cavalier seul, peut-être la Russie a-t-elle la possibilité d’être avant tout simplement elle-même. Après tout, ce que l’« Europe » a d’ironique, c’est que les pressions centripètes exercées par l’Union européenne, son extension vers l’est et le sud, et le Brexit, tout cela oblige de plus en plus à se rendre compte qu’il n’existe pas une « Europe ». Il y a l’Europe de la Suède et de l’Allemagne, mais aussi l’Europe de l’Italie et de la Grèce, celle de la Hongrie, celle des Balkans et celle du Royaume-Uni, celle de la France aussi. Il y a de la place pour la Russie, si les Russes sont disposés à s’assumer. Poutine et ses affidés peuvent bien tenter de se persuader – et de convaincre les autres – du contraire, l’idée voulant qu’ils ne s’européanisent pas est le dernier mythe en date ». (OJ)

 

Mark Galeotti. Brève histoire de la Russie – Comment le plus grand pays du monde s’est inventé. Traduit de l’anglais par Thierry Piélat. (titre original : “A Short History of Russia : From the Pagans to Putin”, Penguin Books 2020). Flammarion. ISBN : 978-2-080-24413-0. 313 pages. 21,90 €

 

Élections allemandes : il est temps de parler d’Europe !

 

Le directeur adjoint de l’institut franco-allemand de Ludwigsburg, Stefan Seidendorf, rappelle que l’Europe a été la grande absente de la campagne des élections législatives allemandes, alors que « les grandes transformations à venir nécessiteront une action au niveau européen ». S’il existait, au lendemain des élections, deux possibilités de coalition, les négociations en vue de celle dite « feu tricolore », qui unirait les verts et les libéraux autour des sociaux-démocrates, semblent désormais sur de bons rails. Mais, comme toujours, le diable se cache dans les détails.

 

L’auteur rappelle que les Verts et les libéraux ont des positions diamétralement opposées : « Le FDP a fait du retour au « frein de la dette » au niveau national et du rétablissement du « pacte de stabilité » au niveau européen son cheval de bataille, vite érigé en « lignes rouges » pour des négociations de coalition. De l’autre côté, les Verts avancent dans leur programme la somme de 50 milliards d’euros qu’il sera nécessaire d’investir chaque année, rien qu’en Allemagne, pour accompagner les grandes transformations qui s’imposent. Pour les Verts, cela devra également passer par une intégration européenne approfondie, qui permettra de mieux mobiliser des moyens mutualisés par le biais d’un budget commun approvisionné par des ressources propres, ou par de la dette commune… en somme, tout ce que le FDP rejette ».

 

« Si la solution semble sans doute passer par l’Europe, l’échec pourrait venir du refus de l’Allemagne d’engager un débat public et politique sur sa vision européenne », affirme Seidendorf avant de conclure : « Les partenaires européens de l’Allemagne, et notamment la France à quelques mois de prendre la présidence (…), seront bien avisés de mettre les acteurs allemands rapidement devant leurs responsabilités ». (OJ)

 

Stefan Seidendorf. Élections allemandes : il est temps de parler d’Europe ! Confrontations Europe. Cette note de quatre pages peut être téléchargée à l’adresse : https://confrontations.org

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