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Bulletin Quotidien Europe N° 12794

21 septembre 2021
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N° 044

La lutte contre le terrorisme : ses acquis et ses défis

 

Voilà une brique de 1 086 pages et 1,7 kg qu’il serait prétentieux de vouloir résumer. D’autant que ce livre, hommage à l’ancien coordinateur européen de la lutte contre le terrorisme, le Belge Gilles de Kerchove, qui a rempli ce rôle 14 ans durant (de 2007 à 2021), couvre tous les aspects de ce travail en donnant la parole à une très grande diversité d’intervenants. Faute de place, voici un maigre aperçu de quelques éléments glanés au fil des pages, avec l’espoir qu’il incitera le lecteur à chercher à en découvrir davantage.

 

Christiane Höhn, qui a travaillé pendant dix ans avec Gilles de Kerchove, et le chercheur suédois Magnus Ranstorp rappellent notamment le rôle joué par l’ancien coordinateur en matière de droits de l’Homme, en lien avec les détenus de Guantanamo, dont 25 ont été rapatriés dans les États membres et les États partenaires de l’Espace Schengen, mais aussi dans la prise en compte, dès 2010, du phénomène des combattants étrangers rejoignant les groupes terroristes en Syrie, avec un premier paquet de 22 mesures adoptées en 2013. Les contributeurs saluent aussi son rôle dans le développement de la stratégie pour le Sahel et de l’interopérabilité des bases de données dans la lutte contre la radicalisation et contre le terrorisme.

 

L’ancien Premier ministre français Bernard Cazeneuve affirme que la lutte contre le terrorisme passe par un renforcement de la coopération entre les États membres. « Si la libre circulation des individus, au sein de l’Espace Schengen, est l’un des acquis de la construction européenne, la mobilité des terroristes en vue de la commission de leurs crimes a conduit l’Union à renforcer les contrôles à ses frontières extérieures, tout en autorisant certains pays à rétablir les contrôles à leurs propres frontières, comme cela fut le cas pour la France, dès la nuit du 13 novembre 2015. L’Union européenne a, par ailleurs, très tôt acquis la conviction que seule l’action coordonnée des services de renseignement, de la police et de la justice des différents pays permettrait à la lutte antiterroriste d’être efficiente », écrit celui qui était encore ministre de l’Intérieur à l’époque des attentats de Paris. Il rappelle que « le Système d’information Schengen (SIS) contenait plus de 91 millions de données en 2019 et a été consulté plus de 6,2 milliards de fois entre 2018 et 2019 » et ajoute : « Le renforcement de la coopération entre les services de renseignement et les polices de l’Union européenne a permis de mieux renseigner le SIS, de même que le contrôle systématique aux frontières extérieures des ressortissants européens, rendu possible par une réforme depuis longtemps attendue du code frontières Schengen, a permis de mieux identifier les terroristes de retour des théâtres d’opérations en Irak ou en Syrie ».

 

Le procureur général François Mollins estime qu’à la suite de la création du parquet européen, qui traitera dans un premier temps de la fraude aux fonds européens ou de la fraude à la TVA, « on peut rêver d’un parquet européen compétent en matière d’attentats terroristes transfrontaliers, mais cela prendra du temps ! » Il existe, selon lui, d’autres perspectives « qui peuvent d’ailleurs constituer autant de limites à l’efficacité de notre système répressif et qui renvoient à la problématique numérique qui se décline à deux niveaux : l’accès et la conservation des données personnelles, d’une part, l’obtention de la preuve numérique, d’autre part ». Il critique les limites fixées par la Cour de justice de l’Union européenne à la conservation des données, estimant qu’elle n’a pas maîtrisé « comment les services qui sont chargés des investigations parviennent à identifier des auteurs de crimes ou des membres de réseaux criminels, dont la parfaite maîtrise des techniques policières les conduit à ‘professionnaliser’ l’effacement des traces et indices traditionnels ». Pour Mollins, qui rappelle le rôle joué par l’analyse de 15 094 appels téléphoniques dans l’orientation des investigations judiciaires lors des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, « l’obtention de ces ‘métadonnées’ constitue (…) une arme précieuse et indispensable dans la lutte antiterroriste contemporaine ». « Le système de collecte systématique des ‘métadonnées’ revêt en conséquence une importance déterminante dans la protection de la sécurité nationale. Sans lui, dans un cadre administratif, les services de renseignement seraient privés de tout l’historique, et dans un cadre judiciaire, tout dépendrait de la capacité des autorités d’anticiper sur l’identité des personnes dont les données de connexion pourraient être utiles, ce qui est impossible », écrit-il avant de souligner aussi l’importance que revêt la proposition de règlement relative à l’obtention des preuves électroniques en matière pénale, toujours en cours de négociation.

 

Bernard Bajolet, ancien directeur général de la sécurité extérieure en France, plaide pour une relance du renseignement au service de l’Union européenne. Il identifie pour l’UE quatre types de besoins : renseignement opérationnel (dans le contexte des missions et opérations de la PSDC), sécuritaire (contre-espionnage, cyberdéfense), géopolitique et de gestion des crises. Évoquant la capacité de contre-espionnage dont les institutions européennes ont besoin, il observe : « Elles font en effet l’objet d’actions systématiques d’intrusions humaines et techniques de la part de puissances telles que la Chine, la Russie ou les États-Unis, mais aussi d’un grand nombre d’autres. Le Brexit, qui fait désormais du Royaume-Uni un rival de l’Union européenne, doit aussi amener celle-ci à se protéger de cet ex-État membre qui la connaît dans ses moindres recoins et y restera présent ». Et d’ajouter : « Face aux ambitions désormais déclarées de la Chine, au retour de politiques de puissance de la part d’États de stature moyenne, comme la Russie, la Turquie ou l’Iran, l’Europe doit se donner les moyens de peser si elle ne veut pas rester sur le banc de touche pour compter les points. Et cela est dans l’intérêt des États membres, même si ceux-ci éprouvent parfois de l’appréhension quant à la perspective d’une Europe plus forte. On voudra bien me pardonner de rappeler cette évidence : aucune puissance européenne, même dotée de l’arme nucléaire, d’une armée efficace et de services de renseignement performants (comme la France), ne peut peser suffisamment à elle seule. Chacun de nos pays a besoin de s’appuyer sur une Europe qui compte dans le monde. Et pour cela, celle-ci doit disposer de sa propre capacité d’appréciation, donc d’un minimum de moyens autonomes dans le domaine du renseignement ».

 

S’il ne croit pas à une prochaine révolution fédérale, Bajolet préconise néanmoins un renforcement de l’INTCEN qui devrait pouvoir s’appuyer « plus sur du renseignement (d’origine exclusivement européenne au sens UE) que sur des sources ouvertes » et être doté d’une capacité de gestion de crise, avec un fonctionnement 24h/24. Ce renforcement pourrait aller de pair avec une amélioration de la production du SATCEN, notamment par une meilleure articulation du centre de Torrejon avec les programmes industriels européens dans le domaine de l’imagerie et de la cartographie satellitaire, dont MUSIS. Parallèlement, les institutions européennes pourraient se doter d’un service de sécurité et de contre-espionnage et d’un coordinateur en matière de renseignement.

 

Jamie Shea, qui est aujourd’hui professeur de stratégie et sécurité à l’Université d’Exeter, évoque le rôle de l’OTAN dans la lutte contre le terrorisme, notamment dans le cadre de ses opérations en Afghanistan. L’article, écrit avant l’effondrement du régime afghan et la prise de pouvoir des talibans, s’interroge déjà sur les perspectives réelles du pays et rappelle que, dès 2017, l’OTAN avait conclu que son rôle ne devrait plus reposer sur davantage d’interventions militaires et d’efforts coûteux de stabilisations à long terme, mais plutôt sur des missions plus petites de capacity-building dans des pays partenaires comme l’Ukraine, la Géorgie, la Jordanie, la Tunisie et l’Irak.

 

Michael Chertoff, ancien secrétaire du département américain de la Sécurité intérieure (2005-2009), et Patrick Bury (Université de Bath) soulignent que « la nature domestique (« homegrown ») à la fois des djihadistes et du nombre croissant de terroristes d’extrême droite ainsi que la confusion qui l’accompagne entre menaces terroristes intérieures et transnationales constituent peut-être le développement terroriste le plus préoccupant de la décennie écoulée ». Ils constatent aussi que l’on n’a pas accordé suffisamment de priorité à la menace d’extrême droite depuis deux décennies et que ces idéologies sont en passe d’être rejointes par d’autres à l’extrême gauche et par des motivations éco-terroristes dans la prochaine décennie. « Ce mélange de mobiles s’appuiera sur des moyens en évolution, y compris un usage croissant de drones, des communications mieux cryptées, une potentielle utilisation du Covid-19 comme arme (« weaponization ») et le développement de capacités cyber (…) Des groupes djihadistes centralisés tenteront d’acquérir de nouvelles armes, y compris des agents neurologiques, et de se développer là où des sanctuaires leur en offriront l’opportunité », estiment Chertoff et Bury. Et de poursuivre : « La croissance continue de tous les types de terrorisme domestique, mais avec des liens et des inspirations transnationales, va demander aux États-Unis et à d’autres nations occidentales, comme la France et la Belgique, de mettre davantage l’accent sur la communauté (dans le contexte du renseignement antiterroriste : NDR). Les officiers de police appartenant à une communauté, les dirigeants des communautés, les enseignants et les professionnels du secteur de la santé mentale sont tous susceptibles d’avoir des informations qui peuvent aider à reconnaître de potentiels cas terroristes. De la même façon, dans la lutte contre l’extrémisme violent, il est nécessaire d’améliorer l’incitation des familles et des amis des personnes à risques à rapporter de façon précoce les cas potentiels. Combinées avec les métadonnées, les capacités croissantes d’analyse des comportements et des données vont constituer, tout comme l’amélioration des techniques de rupture de cryptage, des outils importants de lutte contre le terrorisme domestique ».

 

« Les attaques terroristes de 2020 en France, Allemagne et Autriche nous ont rappelé une fois de plus combien il est important de renforcer nos efforts pour combattre le terrorisme, sans compromettre les valeurs communes », écrit la vice-présidente de la Commission européenne, Věra Jourová, qui s’inquiète du potentiel de radicalisation accrue des citoyens dans le cadre de la crise de la Covid-19. « La pandémie du coronavirus a déjà amplifié beaucoup de problèmes économiques et sociaux. La crise a sérieusement impacté les vies des citoyens, créant une frustration générale massive. Comme les citoyens ont passé plus de temps sur Internet en raison des restrictions de circulation, ils sont devenus des cibles plus faciles de la radicalisation online. Aussi devrions-nous prendre ce risque très au sérieux et joindre nos efforts dans les activités visant à prévenir la radicalisation », affirme Mme Jourová, qui veut toutefois croire en la solidarité européenne et la capacité de l’UE à « continuer à construire une société démocratique résiliente ». (Olivier Jehin)

 

Christiane Höhn, Isabel Saavedra et Anne Weyemberg (Sous la direction de). La lutte contre le terrorisme : ses acquis et ses défis – The Fight against Terrorism : Achievements and Challenges – Liber Amicorum Gilles de Kerchove. Bruylant. ISBN : 978-2-802-76889-0. 1086 pages. 160,00 €

 

La révolution d’un continent

 

Dans cet essai sur la construction européenne, le directeur de la fondation Jean Monnet retrace deux siècles d’histoire du vieux continent, de 1815 à 2021, une histoire marquée par des progrès en dépit des guerres et des crises.

 

« Au cours de l’Histoire, les crises semblent plus faciles à identifier que les relances, mais les liens entre elles sont extrêmement étroits », constate Gilles Grin après avoir déroulé ce récit. Selon l’auteur, la crise contemporaine, qui a pris racine initialement en 2005, présente quatre particularités : (1) elle est multiforme (c’est un empilement de crises successives, qui peut rappeler dans une certaine mesure la crise dite de l’eurosclérose dans les années 1970 et la première partie des années 1980) ; (2) elle est la plus longue (16 ans contre 11 pour la crise de l’eurosclérose), « ce qui accentue le risque d’usure » ; (3) elle inclut une crise de légitimité politique sans précédent « qui touche aussi largement les systèmes nationaux » ; (4) elle s’inscrit dans un environnement international hostile. Et l’auteur de détailler cette dernière spécificité : « Les États-Unis de Donald Trump sont allés jusqu’à parler de l’Union européenne comme d’une ennemie. La Chine est considérée par l’Union comme une rivale systémique. Les relations avec la Russie ne sont pas bonnes. La dimension internationale est source de risques pour les Européens. Il semble y avoir une tendance et même un grand potentiel des puissances dans le monde à vouloir diviser les Européens ».

 

« J’ai toujours pensé que l’Europe se ferait dans les crises et qu’elle serait la somme des solutions qu’on apporterait à ces crises », écrivait Jean Monnet dans ses Mémoires en 1976, mais si les crises « peuvent être un facteur de progrès (…), ce n’est pas toujours immédiat ni garanti », souligne Grin, non sans rappeler que « l’enjeu actuel n’est pas tant une disparition rapide de l’Union européenne qu’un risque sournois d’effacement ». (OJ)

 

Gilles Grin. Construction européenne – La révolution d’un continent. Collection débats et documents, numéro 21, juin 2021. Fondation Jean Monnet. ISSN : 2296-7710. 182 pages. Cet essai peut être téléchargé sur le site Internet de la fondation : http://www.jean-monnet.ch

 

Media Capture – An increasing Threat to Serbian Democracy

 

Le dernier numéro de la revue allemande consacrée à l’Europe du Sud-est comprend plusieurs articles relatifs à la Serbie. Si le ministre serbe des Affaires étrangères, Nikola Selaković, s’attache à illustrer la contribution de son pays à une Europe unie, Michael Roick (Friedrich-Naumann-Stiftung) est beaucoup plus critique à l’égard de ce pays. Dans un article consacré aux défis géostratégiques que constituent pour l’Union européenne les interférences russes et chinoises dans les Balkans, Roick se demande dans quelle mesure la Serbie ne devrait pas être considérée comme un État client (« Klientenstaat ») de la Chine. Il rappelle qu’en 2020, le président serbe, Aleksandar Vučić, a pris une série de positions pour le moins très éloignées de celles de l’UE. Il avait notamment apporté son soutien à la politique chinoise à Hong Kong et à la réunification de la Chine.

 

Le chercheur serbe Nikola Burazer souligne, dans un article très bien documenté, la détérioration de la liberté de la presse et de la démocratie en Serbie. Il rappelle ainsi qu’à côté de la chaîne nationale publique RTS, les quatre télévisions privées disposant de fréquences couvrant l’ensemble du territoire appartiennent ou sont dirigées par des personnes proches du parti au pouvoir et ont toutes un fort positionnement pro-gouvernemental. La plupart des quotidiens nationaux sont également détenus par l’État ou des proches du parti au pouvoir, à l’exception de Blic, propriété de Ringier Axel Springer, et Danas (United Group). Quatre tabloïdes privés (Informer, Srpski telegraf, Kurir, Alo) ont une ligne fortement pro-gouvernementale et « sont les champions des fake news, de la désinformation et des campagnes de diffamation contre l’opposition et les journalistes indépendants, aussi bien que de la propagande pro-russe et anti-occidentale », écrit Burazer qui suspecte également l’opérateur public Telekom Serbia d’avoir favorisé l’acquisition de deux chaînes de télévision par un homme d’affaires proche du parti au pouvoir. (OJ)

 

Nikola Burazer. Media Capture – An increasing Threat to Serbian Democracy. Südosteuropa Mitteilungen, numéro 02-03/2021. ISSN : 0340-174X. 176 pages. 15,00 €

 

Baudelaire/Flaubert : le bicentenaire de deux géants

 

« Si l’année 1821 voit disparaître un géant de l’histoire en la personne de Napoléon, elle en voit aussi naître deux, en littérature », rappelle la Revue générale, qui consacre son numéro de juin à Baudelaire et Flaubert, offrant aux amateurs de littérature et d’histoire littéraire des éclairages variés et souvent inattendus sur ces deux personnalités hors norme, parties, chacune à sa façon, en « croisade solitaire contre la bêtise de leurs contemporains ». On y trouve notamment un entretien avec Yvan Leclerc, qui a rédigé le récent Album Flaubert pour la « Bibliothèque de la Pléiade », laquelle vient de rééditer les « Œuvres complètes de Baudelaire » et de publier les tomes IV et V des œuvres de Flaubert. (OJ)

 

Frédéric Saenen (sous la direction de). Baudelaire/Flaubert : le bicentenaire de deux géants. Revue générale, numéro 2021/2, juin 2021. ISBN : 978-2-390-61131-8. 22,00 €

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