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Bulletin Quotidien Europe N° 12784

7 septembre 2021
Sommaire Publication complète Par article 24 / 24
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N° 043

Le bateau ivre

 

Un jeune président, élu à la surprise générale en mai 2017, en soutien duquel se constitue un nouveau parti présidentiel baptisé « Renouveau ». Des attentats islamistes successifs au BHV, aux abords d’une synagogue, dans le RER près du Stade de France et à Gourdon, petite ville du Lot d’à peine 4 300 habitants. Un emballement politico-médiatique. Voilà, la trame du premier roman de Pascal Boniface, même si le qualificatif de ‘remake’ serait plus juste, tant les ressemblances avec des personnes existantes ou ayant existé ne sauraient être purement fortuites.

 

« Décrivant de façon hyperréaliste cet emballement implacable, Pascal Boniface nous entraîne dans un récit captivant où se mêlent situations tragiques, portraits savoureux et rebondissements surprenants », peut-on lire en quatrième de couverture. Mais qu’en est-il réellement ? Habitué des scénarios de prospective, le directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), nous livre en effet une fiction qui puise de façon hyperréaliste dans l’actualité française des dernières années. Les personnages sont très, voire trop nombreux, au risque parfois de perdre le lecteur… d’autant que l’auteur a la fâcheuse manie de les appeler par leur prénom. Les portraits se limitent essentiellement aux fonctions, postures politiques et motivations des personnages et les décors sont présumés connus du lecteur. Si la « surenchère infernale » aboutit à l’élection d’un président d’extrême droite, laquelle ne peut être totalement exclue dans le monde réel, le seul rebondissement surprenant rencontré en chemin est la suppression du Conseil constitutionnel. Mais l’ensemble se tient et se lit sans effort.

 

Pourfendeur du système politico-médiatique parisien, l’auteur en profite pour dénoncer le cynisme ambiant : « Il fallait apparaître dur et dénoncer la faiblesse ou l’angélisme des autres. Cela suffisait, il n’était en rien nécessaire de savoir si ces propositions fonctionnaient ou non. Car en fait, ce n’était pas des propositions, mais des slogans. Pas la peine non plus d’étudier ce qui se passait à l’étranger, ce qui fonctionnait ou pas. Il suffisait d’être dans la posture et personne ou presque ne devinait l’imposture ». Boniface s’en prend aussi vertement aux chaînes d’information en continu qui alimentent l’anxiété et la contestation avec des recettes qui n’ont rien à envier aux émissions de télé-réalité, le bon casting réunissant systématiquement des spécialistes sans qualification, des figures connues, sans expertise sur le sujet évoqué, et un polémiste aux thèses radicales voire extrémistes. (Olivier Jehin)

 

Pascal Boniface. Le bateau ivre. Armand Colin. ISBN : 978-2-200-63206-9. 278 pages. 17,90 €

 

La Grande Migration et l’Europe

 

Dans cet ouvrage, paru en italien en 2018 sous le titre « L’ospite e il nemico », le philosophe et linguiste italien Raffaele Simone porte un regard analytique et sans concession sur toutes les conséquences de la Grande Migration vers l’Europe, dont l’ampleur et la vitesse se sont accrues depuis 2015.

 

Le livre s’ouvre sur l’expulsion, en 2017, de migrants d’un squat près de la gare de Termini à Rome et évoque divers épisodes du phénomène migratoire sans précédent auquel l’Europe est confrontée. Mais il ne prétend pas pour autant en raconter l’histoire, l’auteur entendant se concentrer sur l’analyse du phénomène et de ses effets ainsi que des idéologies qui s’affrontent en arrière-plan.

 

 « Plusieurs raisons font penser que la Grande Migration ne sera pas un bref épisode, mais qu’elle sera l’une des caractéristiques fondamentales de ce siècle. Avant tout parce qu’elle n’est qu’un fragment d’un gigantesque mouvement à l’échelle mondiale : « Aujourd’hui, c’est toute la planète qui est en mouvement, en particulier dans les parties sud du monde ». Le XXIe siècle semble en effet avoir réactivé la gigantesque chaîne des mouvements de masse qui caractérisèrent les phases primitives du peuplement du globe. Une enquête Gallup effectuée dans 151 pays a montré qu’en 2008, environ un quart de la population mondiale manifestait une propension à émigrer. Cette tendance était plus forte dans des pays comme la Sierra Leone, le Guyana, le Congo et le Nigeria, où elle concernait plus de la moitié des personnes interrogées. On peut donc dire que la tendance à quitter son propre pays est l’un des signes distinctifs sociaux primaires de la modernité », écrit Simone avant d’ajouter : « Ces éléments font comprendre qu’être pour ou contre la Grande Migration n’a pas de sens : c’est comme si on était pour ou contre une inondation ou une tempête de neige qui engloutit nos maisons. Il est beaucoup plus sensé de chercher à comprendre ce qu’elle est, ce qu’elle signifie et ce qu’elle entraînera, et ainsi d’organiser des réponses adéquates avant que ce ne soient les faits qui se chargent de les apporter ».

 

L’auteur décrit sans parti pris les deux récits qui s’affrontent autour du phénomène migratoire, celui de « l’Europe coupable » dont les partisans affirment que « les immigrés ne font que reprendre ce qui leur a été pris dans le passé, et (qu’)en plus, ils sont généreux envers leurs anciens exploiteurs, car, grâce à leur présence, ils contribuent au bien-être des pays d’arrivée » et celui du « grand remplacement » illustré par le roman « Soumission » de Michel Houellebecq. Confrontée à un phénomène sans précédent, l’Europe a été prise au dépourvu et s’est rapidement laissé subjuguer par le premier de ces deux récits, par cécité et par une dénégation allant jusqu’au « reniement de soi », estime Simone. Personne n’a voulu reconnaître immédiatement la nature de la Grande Migration et, quelques années après 2015, on hésitait encore à le faire, écrit-il avant de poursuivre : « Ceux qui la montraient du doigt comme un événement fatal tombaient sous l’accusation du politiquement incorrect ; ceux qui suggéraient d’en analyser les dangers et demandaient que l’on prenne des mesures étaient considérés comme de droite ou comme carrément racistes. Même certains faits aggravants, strictement en lien avec la Grande Migration, n’ont pas eu le pouvoir d’amener l’Europe à regarder la réalité avec lucidité. C’est le cas, par exemple, quand, à partir d’un certain moment, l’immigration commença à s’imbriquer avec le terrorisme. Non pas, certes, que tous les immigrés fussent des terroristes, mais il est impossible de nier que le terrorisme qui frappa l’Europe à partir de 2005 provenait entièrement de l’immigration musulmane (de plusieurs générations, y compris les derniers arrivés). Si, par conséquent, l’immigration ne se confondait pas avec le terrorisme, elle lui offrait certainement un terreau fertile et un abri sûr ».

 

Avant une dénonciation en règle du multiculturalisme et du communautarisme qui mène au « séparatisme », l’auteur consacre un long chapitre à la figure de l’étranger, du xénos, de l’antiquité à nos jours. Il revient également sur la notion d’islamophobie, « échantillon invraisemblable des distorsions idéologiques produites par le politiquement correct dans sa forme spécifiquement française ». Simone rappelle enfin les différences culturelles propres au monde musulman et s’interroge sur leur compatibilité avec l’État de droit tel qu’il est issu de l’histoire européenne. (OJ)

 

Raffaele Simone, La Grande Migration et l’Europe. Traduit de l’italien par Gérard Larché. Gallimard. ISBN : 978-2-072-89716-0. 212 pages. 21,00 €.

 

L’évolution des valeurs des Européens

 

Le dernier numéro de la revue Futuribles consacre un vaste dossier à l’évolution des valeurs des Européens sur la base de la dernière enquête (2017-2018) de l’European Values Study.

 

Pierre Bréchon (université Grenoble Alpes) y souligne les différences de valeurs observées suivant les zones géographiques en Europe tout en insistant sur la distinction essentielle entre la tendance à l’individualisation (volonté d’autonomie) et celle de l’individualisme (recherche de son strict intérêt personnel). Si la première est particulièrement présente dans les pays nordiques et en Europe de l’Ouest, l’individualisme a régressé depuis 1999 sauf en Europe orientale. Sans surprise, la religiosité demeure beaucoup plus forte en Europe centrale et orientale ainsi que dans l’Europe du Sud. « La confiance envers autrui est aussi plus forte dans les pays riches, avec une spécificité des pays nordiques, observable depuis très longtemps. Une culture de la confiance s’y est développée, typique d’une sociabilité ouverte », note l’auteur.

 

Raul Magni Berton (Sciences Po Grenoble) met en avant quatre résultats principaux concernant la tolérance à l’égard des comportements d’autrui : (1) le principal clivage sur les valeurs en Europe est celui entre les pays de l’Est et les pays de l’Ouest ; (2) si l’on regarde l’évolution globale, les deux groupes vont dans la même direction ; (3) au sein du groupe oriental, l’évolution n’est pas la même selon que le pays se trouve dans l’UE ou non ; (4) l’évolution des valeurs des Européens va vers plus de tolérance dans les enjeux éthiques et moins de tolérance dans les enjeux civiques. « En Europe de l’Ouest, les comportements largement condamnés sont, dans l’ordre, accepter un pot-de-vin, frauder le fisc, abuser des prestations sociales, resquiller dans les transports et consommer des drogues douces. Plus d’un Européen sur deux ne considère jamais justifiable l’un de ces comportements. En revanche, dans les pays de l’Est, en dehors de l’acceptation d’un pot-de-vin et de la consommation de drogues douces, ces comportements sont largement plus tolérés. En outre, l’intolérance concernant l’homosexualité, la prostitution ou le suicide caractérise plus d’un répondant sur deux », constate l’auteur. (OJ)

 

Pierre Bréchon et autres. L’évolution des valeurs des Européens. Futuribles, numéro 443, juillet-août 2021. ISBN : 978-2-84387-456-7. 152 pages. 22,00 €

 

Initiative citoyenne européenne

 

La Revue de l’Union européenne a consacré son dossier du mois de juin à l’initiative citoyenne européenne (ICE), qui connaît un nouvel élan avec la mise en application, à partir du 1er janvier 2020, du règlement 2019/788 dont les dispositions visent à renforcer l’effectivité, toujours très faible, de ce mécanisme de démocratie participative transnationale.

 

Nathalie Rubio (université d’Aix-Marseille) y analyse la jurisprudence relative aux ICE et montre comment le juge de l’UE « resserre peu à peu l’étau en adoptant un contrôle plus strict des décisions de la Commission ». Rubio explique que le juge ouvre également la voie à un débat élargi sur des domaines sensibles et sur les limites de l’action de l’UE. Enfin, cette jurisprudence a permis de préciser les obligations qui s’imposent aux requérants et dont le respect peut contribuer au succès de l’action contentieuse.

 

Luis-Miguel Guttierrez (université de Lille) met l’accent sur le rôle que le Parlement européen peut jouer en soutien de l’initiative citoyenne européenne, dans une logique de complémentarité entre démocratie représentative et démocratie participative. Il rappelle que, dans son discours de juillet 2019, la candidate à la présidence de la Commission européenne Ursula von der Leyen avait affirmé : « Lorsque le Parlement, statuant à la majorité de ses membres, adoptera des résolutions demandant à la Commission de présenter des propositions législatives, je m’engage à répondre par un acte législatif, dans le respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité ainsi que de l’accord ‘Mieux légiférer’ ». Et l’auteur de conclure : « Le moment semble donc être venu pour réinventer l’ICE comme un instrument puissant de contrôle politique à la fois citoyen et parlementaire afin de renforcer et améliorer le fonctionnement démocratique de l’Union ». (OJ)

 

Adriano Evangelisti et autres. Initiative citoyenne européenne. Revue de l’Union européenne, numéro 649, juin 2021. ISBN : 978-2-990-35649-7. 53,09 €

 

Review of the PADR and EDIDP: Lessons for the Implementation of the European Defence Fund

 

Dans cette étude, Frédéric Mauro et Édouard Simon identifient un certain nombre d’écueils qui devront impérativement être évités lors de la mise en œuvre du Fonds européen de défense (Fedef) afin d’en assurer l’efficacité. Ils rappellent que le budget de 7,953 milliards sur la période 2021-2027, s’il constitue une véritable avancée, demeure très loin de l’ambition initiale de la Commission (13 milliards) et ne représente jamais qu’une infime partie (à peine 0,66%) du budget global de l’UE sur la même période. Si l’on additionne les dépenses annuelles de recherche de défense des États membres et la contribution du Fedef, on atteint approximativement le niveau de dépenses estimé de la Russie (8 milliards d’euros), loin derrière la Chine (20 milliards) et les États-Unis (96 milliards).

 

Dans ces conditions, il est impératif d’éviter tout effet de saupoudrage, notamment dans le contexte de l’objectif de développement de la coopération transfrontalière. Les auteurs suggèrent de conserver cet objectif dans l’enveloppe consacrée à la recherche et la technologie, où il doit être possible d’arroser même les terres supposées infertiles. L’Agence européenne de défense pourrait à cette fin développer un réseau de centres de recherche de défense. Dans le domaine du développement, la priorité devrait en revanche être accordée aux propositions qui ont le soutien des États membres, avec des perspectives d’acquisition. L’OCCAR y a naturellement un rôle à jouer. Les auteurs insistent également sur la nécessité de développer une planification stratégique pluriannuelle afin de créer les conditions permettant à un projet de se développer sur plusieurs années. Dans ce cadre, la meilleure option consisterait à abandonner les mises en concurrence annuelles, pour procéder à un unique appel à propositions, suivi la même année de la sélection d’un consortium avec l’attribution d’une enveloppe pluriannuelle, laquelle ferait ensuite annuellement l’objet de décisions budgétaires, un peu sur le modèle des lois de programmation militaire.

 

Mauro et Simon envisagent aussi l’après 2027 et préconisent d’augmenter le budget du Fonds européen de défense et/ou l’efficacité de la dépense. Rappelant qu’Israël, la Turquie et l’Iran ont développé des productions de drones alors que leurs budgets sont moindres, ils estiment que « le problème n’est pas que les Européens ne dépensent pas assez d’argent, mais qu’ils le gaspillent ». (OJ)

 

Frédéric Mauro et Édouard Simon. Review of the PADR and EDIDP: Lessons for the Implementation of the European Defence Fund. ISBN : 978-92-846-8080-1. 103 pages. Cette étude, réalisée à la demande de la sous-commission Sécurité et Défense, peut être téléchargée sur le site du Parlement européen.

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