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Bulletin Quotidien Europe N° 12658

16 février 2021
Sommaire Publication complète Par article 28 / 28
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N° 031

Empire, empires

 

La Revue générale consacre un dossier au concept d’empire et aux empires. On y trouve notamment un article du philosophe Lilian Truchon sur la Chine et la notion traditionnelle de « tianxia » (littéralement, « tout ce qui est sous le ciel »). Remise au goût du jour par le philosophe chinois Zhao Tingyang, depuis une vingtaine d’années, le tianxia est présenté comme une alternative chinoise au modèle impérialiste capitaliste.

 

Sébastien Schick (Université Paris I Panthéon-Sorbonne) évoque le Saint-Empire romain germanique, ce « corps irrégulier, semblable à un monstre », selon la formule célèbre de Samuel von Pufendorf, « qui ne correspond à aucun des concepts aristotéliciens par lesquels on classe alors les différents types de régimes et de gouvernements ». Le Saint-Empire n’est en effet « ni monarchie, ni aristocratie, ni république, ou alors, un peu des trois ». L’auteur constate qu’il relève davantage de la confédération polycentrique. Ce qui n’est finalement pas si éloigné du fonctionnement actuel de l’Union européenne.

 

L’historien David Engels revient sur le titre « Le déclin » qui lui avait été imposé par son éditeur français, alors que le titre original de son ouvrage, paru en 2012, était « Demain, l’empire ? » et « correspondait nettement mieux à l’intention principale, c’est-à-dire fournir non pas une énième lamentation sur la crise culturelle de l’Occident, mais plutôt formuler l’hypothèse selon laquelle les similitudes entre les temps présents et les dernières décennies de la République romaine (au 1er siècle av. J-C) seraient si flagrantes que nous pourrions conjecturer d’une suite d’événements relativement parallèle : d’abord une phase de désordre civil durant à peu près vingt ans, puis l’instauration d’un ‘compromis impérial’ à l’image du principat augustéen ». « L’heure est aux ‘États civilisations’ où identité culturelle, ordre politique et défense des intérêts stratégiques font partie d’une seule et même impulsion. La Russie, la Chine, l’Inde et, d’un certain point de vue, les États-Unis ont compris cela depuis longtemps ; d’autres espaces culturels, comme le monde sunnite, le monde iranien et le monde turc sont en train de se former (…). Les seuls qui évitent à tout prix de tirer les conséquences de ces évolutions essentielles sont les Européens, qui se complaisent dans un angélisme politique et culturel sidérant et risquent de devenir bientôt l’échiquier sur lequel les autres grandes puissances vont jouer à un nouveau ‘Great Game’, à nos dépens », estime Engels. Et d’ajouter : « Si l’Europe veut avoir un véritable avenir, elle doit s’unir autour d’un patriotisme culturel pour son héritage matériel et spirituel, se donner les moyens de réaliser ses ambitions stratégiques communes (tout en laissant aux États-nations toutes les compétences qui ne sont pas strictement nécessaires aux intérêts vitaux de la totalité de notre espace civilisationnel) et oser à nouveau projeter sa force vers l’extérieur. Mais nous en sommes bien loin, malheureusement… »

 

La revue contient encore un très riche entretien avec le romancier Vincent Engel sur « le désir de mémoire » (à opposer au devoir de mémoire) et qui est aussi le titre d’un essai contre l’instrumentalisation de la mémoire de la Shoah, qu’il a publié chez Karthala en 2020. (Olivier Jehin)

 

Frédéric Saenen (sous la direction de). Empire, empires. La Revue générale, hiver 2020. Presses universitaires de Louvain. ISBN : 978-2-390-61084-7. 255 pages. 22,00 €

 

Culture et barbarie européennes

 

Ce petit essai, tiré d’une série de conférences données en 2005, n’a pas pris une ride. Le sociologue Edgar Morin nous rappelle que « les tendances barbares voisinent avec les tendances civilisatrices » et que « l’Europe occidentale, foyer de la domination la plus importante qui ait jamais existé dans le monde, est aussi le seul foyer des idées émancipatrices qui vont saper cette domination ». En chemin, elle aura produit un anthropocentrisme dominateur et un humanisme fraternel avant de connaître le totalitarisme et des formes rationalisées de barbarie extrême.

 

« Il faut être capable de penser la barbarie européenne pour la dépasser, car le pire est toujours possible », écrit Edgar Morin. Et d’expliquer : « Ce qu’il nous faut à tout prix éviter, c’est la bonne conscience, qui est toujours une fausse conscience. Le travail de mémoire doit laisser refluer vers nous la hantise des barbaries : asservissements, traite des Noirs, colonisations, racismes, totalitarismes nazi et soviétique. Cette hantise, en s’intégrant à l’idée de l’Europe, fait que nous intégrons la barbarie à la conscience européenne. C’est une condition indispensable, si nous voulons surmonter les nouveaux dangers de la barbarie. Mais, comme la mauvaise conscience est aussi une fausse conscience, ce qu’il nous faut c’est une double conscience. À la conscience de la barbarie doit s’intégrer la conscience que l’Europe produit, par l’humanisme, par l’universalisme, par la montée progressive d’une conscience planétaire, les antidotes à sa propre barbarie ».

 

« Le développement techno-économique actuel produit la dégradation de la biosphère, qui elle-même entraîne la dégradation de la civilisation humaine », estime encore l’auteur, en appelant à un sursaut : « L’Europe ne pourrait-elle pas produire de nouveaux antidotes qui seraient issus de sa culture, à partir d’une politique de dialogue et de symbiose, d’une politique de civilisation qui ferait la promotion des qualités de la vie et non pas uniquement du quantitatif, qui stopperait la course à l’hégémonie ? Ne pourrait-elle pas se ressourcer à l’humanisme planétaire qu’elle a forgé dans le passé ? Ne pourrait-elle pas réinventer l’humanisme ? ». (O.J)

 

Edgar Morin. Culture et barbarie européennes. Éditions de l’Aube. ISBN : 978-28-159-3946-1. 98 pages. 12,00 €

 

Les nouvelles menaces mondiales

 

« Si l’Europe reste une des dernières oasis de liberté presque totale dans le monde, elle est toutefois vieillissante et, surtout, en déclin face aux nouveaux continents plus jeunes et aux menaces multiples qui proviennent de ces nouveaux espaces politiques et géopolitiques. En refusant de prendre à sa juste mesure l’imminence du danger mondial de la menace terroriste il y a quelques années et du virus Covid-19 aujourd’hui, des pays ont fait le jeu de l’ennemi invisible », affirme Sébastien Boussois dans cet ouvrage qui est essentiellement consacré à la pandémie due au virus SARS-Cov2. Le chercheur associé à l’ULB évoque néanmoins un certain nombre de menaces (terrorisme, agents bactériologiques, armes chimiques, sûreté nucléaire, etc.) qui, sans être totalement nouvelles, doivent être mieux prises en considération, tant dans la planification stratégique que par des mesures concrètes visant à renforcer la résilience des infrastructures et des communautés humaines, y compris à l’échelon local.

 

Boussois souligne à juste titre l’état d’impréparation qui a été révélé par la pandémie actuelle et l’improvisation totalement désordonnée qui s’est ensuivie en Europe. Il estime que cela découle en grande partie d’un refus collectif de reconnaître et de nommer les menaces. « Nous sommes dans une société d’excès et de déni, qui utilise des synonymes ou des euphémismes pour désigner les choses. Dans les deux cas, qu’il s’agisse de la maladie ou de la mort, nous marchons sur des œufs et prenons toujours des gants pour parler. Dans le cas des pandémies, il en va de même : nous ne voulons pas entendre ce mot, car il est effrayant, terrorisant », écrit l’auteur dans un ouvrage qui manque de rigueur, mais pas d’approximations et d’erreurs parfois grossières : confusion entre Antiochus III et Antiochus IV (p.33), total d’un million de morts du SIDA (p.52), conquête musulmane débutant au 6e siècle (p.147) … En résumé et sans prendre de gants : voilà un ouvrage qui ne mérite pas sa couverture. (OJ)

 

Sébastien Boussois. Les nouvelles menaces mondiales – La grande pandémie du déni. Mardaga. ISBN : 978-2-804-70940-2. 171 pages. 19,90 €

 

Die türkische Politik im östlichen Mittelmeer: Ringen um hegemoniale Vormachtstellung

 

La chercheuse Gülistan Gürbey (Otto-Suhr-Institut für Politikwissenschaft der Freien Universität Berlin) examine la politique néo-ottomane conduite par la Turquie en Méditerranée orientale. Elle décrit une stratégie d’escalade reposant sur la projection de force et qui n’exclut pas la confrontation militaire dans la recherche d’une hégémonie régionale. Cette ambition s’explique autant par des considérations de politique intérieure que de politique étrangère. Il s’agit pour Erdoğan et l’AKP de renforcer leur image et de faire oublier la situation économique difficile, encore aggravée par la pandémie, explique l’auteur. Pour Gürbey, la Turquie devient de plus en plus imprévisible, tout en s’isolant toujours davantage.

 

Cet article est paru dans le dernier numéro de la revue Südosteuropa Mitteilungen, dans laquelle Niels Kadritzke analyse les revendications de zones économiques exclusives en Méditerranée orientale, y compris des points de vue historique et juridique. Le journaliste estime qu’il faut craindre une aggravation de la confrontation entre la Grèce et la Turquie au cours des prochaines années, sous l’effet de plusieurs événements propices à une escalade des tensions, à savoir le 200e anniversaire du soulèvement contre le pouvoir ottoman, qui sera célébré en Grèce en mars 2021, et le 100e anniversaire de la victoire sur les troupes d’invasion grecques, qui sera fêté en Turquie à l’automne 2022.

 

Dans un troisième article, Huseyin I. Cicek (Universität Wien) décrit le rôle du Diyanet, organisme chargé de l’interprétation de l’Islam en Turquie, depuis 1923, y compris sous l’angle de sa coopération avec le pouvoir en place. (OJ)

 

Gülistan Gürbey. Die türkische Politik im östlichen Mittelmeer: Ringen um hegemoniale Vormachtstellung. Südosteuropa Mitteilungen. 60. Jahrgang, 05/2020. ISSN : 0340-174X. 15,00 €

 

Qui gouverne l’Union européenne ?

 

Cet ouvrage remet en perspective, complète et actualise un ensemble de chroniques européennes parues dans la Revue française d’administration publique du 1er novembre 2014 au 31 janvier 2020. Plus qu’une simple rétrospective des années Juncker, l’ouvrage cherche à identifier les évolutions marquantes, qu’elles soient pérennes ou non, au sein des principales institutions européennes comme dans leurs interactions. Michel Mangenot, qui est directeur de l’Institut d’études européennes de l’université Paris VIII, enrichit l’ensemble de nombreux portraits (profils, appartenance nationale et parcours) de dirigeants politiques comme de fonctionnaires européens et nationaux. L’auteur consacre un chapitre à la présence et à l’influence française au sein des institutions européennes. Le personnel des affaires européennes en France fait lui aussi l’objet d’un chapitre spécifique. L’ouvrage s’achève sur une présentation de la nouvelle équipe dirigeante, avec Ursula von der Leyen, Charles Michel, Josep Borrell et Christine Lagarde, ainsi que leurs cabinets respectifs. (OJ)

 

Michel Mangenot. Qui gouverne l’Union européenne ? Chroniques 2014-2020. La documentation française. ISBN : 978-2-111-57067-2. 162 pages. 12,00 €

 

Le « séparatisme » : unité et diversité du fédéralisme

 

La revue trimestrielle Fédéchoses consacre un dossier à la diversité linguistique et culturelle ainsi qu’aux identités régionales et multiples que le jacobinisme français ne saurait concevoir. « Face à un pouvoir bureaucratique et centralisé, crispé sur une identité rêvée et une unité fantasmée, nous voulons rappeler que la diversité, la fluidité, le dialogue sont des piliers d’une société et d’institutions respectueuses des personnes et de leur individualité, créatrice de collectifs choisis et non imposés », peut-on lire dans l’éditorial de ce numéro, qui évoque notamment le mépris des langues régionales si caractéristique des « élites » françaises, la création d’une « collectivité européenne » Alsace qui n’est rien de plus qu’un gros département (même si on peut regretter l’amalgame que fait Ulrich Bohmer entre autonomisme et séparatisme), « le boulet » que représente une région « Grand-Est » dont la création n’est pas sans analogie avec le découpage colonial de l’Afrique. (OJ)

 

Jean-François Billion et autres. Fédéchoses. Numéro 187, décembre 2020. Presse fédéraliste (http://www.pressefederaliste.eu ). ISNN : 0336-3856. 64 pages. 5,00 €

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