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Bulletin Quotidien Europe N° 12479

5 mai 2020
Sommaire Publication complète Par article 39 / 39
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N° 014

La sauvegarde du peuple

C’est une phrase de Jean-Sylvain Bailly, premier président de l’Assemblée nationale française en 1789, qui sert de prétexte à cet ouvrage dédié à la liberté de la presse et, plus encore, au rôle crucial de l’information comme moyen de régulation de la vie politique. Tombée, comme du reste son auteur, dans les oubliettes de l’histoire, cette phrase n’a pourtant rien perdu de son actualité. C’est même tout le contraire dans un monde où dominent la communication politique et les tweets de Donald Trump et où les nouvelles technologies sont mises à profit par les pouvoirs politiques et les géants économiques pour verrouiller l’information ou étendre leur contrôle sur les citoyens. « La publicité est la sauvegarde du peuple », avait dit Jean-Sylvain Bailly, énonçant le principe même de la transparence indispensable à l’exercice de la souveraineté populaire.

L’essai ou, plus précisément, l’enquête sur cette maxime conduit naturellement Edwy Plenel à s’intéresser à l’écho qu’elle reçoit en pleine révolution et un heureux hasard lui fera découvrir qu’elle figure toujours sur le fronton de la maison communale de Verviers. On sait le journaliste et cofondateur de Mediapart engagé et d’aucuns lui reprocheront sans doute les quelques diatribes anti-Macron qu’il n’a pas su réprimer. Sa plume acérée fait ici œuvre utile en nous rappelant que c’est bien à nous qu’il appartient de contrôler ceux qui nous gouvernent, même s’ils ont été élus, et jamais l’inverse.

« Le propre des pouvoirs saisis par le vertige autoritaire est que le mensonge leur devient une seconde nature. Au régime du coup d’État permanent (qualification de la Ve République par François Mitterrand : ndr), ils ajoutent l’usage permanent du faux. Plus de raison commune, plus de vérité partagée, plus de réel maîtrisé ; seule compte l’affirmation qui confortera le pouvoir, fut-elle sans véracité aucune. Il ne s’agit plus seulement de mentir pour dissimuler, mais de mentir pour effacer », écrit Edwy Plenel, en songeant plus particulièrement à la gestion de la crise des gilets jaunes par les autorités françaises. Excessif ? Pas tant que ça, en réalité. Il suffit, pour s’en convaincre, d’analyser la genèse et la gestion de la crise actuelle, celle du coronavirus, également marquée par des dénis, des mensonges et des excès. Les tests et les masques, tellement inutiles parce qu’on n’en avait pas, en témoignent à l’envi. Le piteux état du système hospitalier, confronté à des saignées budgétaires systématiques en dépit des alertes répétées des professionnels de la santé, comme les rationalisations de structures dans le seul but de réduire le nombre de lits ou d’établissements de soins, parlent de cette verticalité d’un pouvoir déconnecté des réalités quotidiennes, qui croit savoir et prétend gérer. À investissement équivalent dans la santé publique (environ 11% du PIB), la France disposait avant la crise de 5 000 lits de réanimation contre 28 000 pour l’Allemagne. Un différentiel parmi d’autres qui en dit long sur un état d’impréparation que la communication, avec ses accents guerriers, et la surréaction, avec son confinement généralisé et son lot de bureaucratie et de répression, ont cherché à dissimuler.

Alors oui, le peuple, la communauté nationale, les citoyens européens ont besoin d’yeux, qu’ils soient journalistes, blogueurs, lanceurs d’alerte ou tout simplement citoyens, pour voir, comprendre, surveiller ce que font les mandataires publics. Alors oui, c’est bien dans la publicité – aujourd’hui, on utiliserait plus volontiers le mot transparence – que réside la sauvegarde du peuple. Elle est sa seule arme pour éviter que la démocratie soit confisquée par quelques-uns.

Son emblème, l’œil du peuple, fut « au cœur de l’imaginaire et de l’imagerie révolutionnaire après 1789 », nous rappelle Edwy Plenel. « Symbole d’une souveraineté active du peuple, d’un droit de regard garantissant la liberté de délibérer et de choisir », tant il est vrai que cette liberté ne vaut qu’éclairée par la publicité, il prenait le plus souvent la forme d’un œil au centre d’un triangle, « figure géométrique de stabilité », nous dit l’auteur, mais aussi de perfection. Avec ou sans son triangle, l’œil pouvait en outre darder des rayons de lumière. Les symboles s’empruntent et se réinterprètent et celui-ci était fort utilisé au XVIIIe siècle pour représenter l’œil de la Providence. La vieille église Saint-Nicolas à côté de la Grand-Place de Bruxelles en recèle à elle seule pas moins de trois exemples et l’inspiration – consciente ou inconsciente – de l’imagerie utilisée pour l’œil du peuple y doit sans doute quelque chose. Et si le peuple n’était en définitive rien moins que la Providence du monde politique ?

Olivier Jehin

 

Edwy Plenel. La sauvegarde du peuple – Presse, liberté et démocratie. La Découverte. ISBN : 978-2-348-05584-3. 202 pages. 14,00 €

 

Traçage numérique : pourquoi c’est non

« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre et finit par perdre les deux ». La citation est de Benjamin Franklin et figure en exergue sur une note de 12 pages rédigée par Cyrille Dalmont pour dénoncer le projet de traçage numérique développé par les autorités françaises dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. Le texte ne se borne pas à décrire tous les risques potentiels de l’application baptisée StopCovid, mais appelle les députés français à voter contre. Sans nier que ce projet n’est pas prêt actuellement, le Premier ministre, Édouard Philippe, en a réaffirmé, mardi 28 avril, l’utilité, promettant à l’Assemblée nationale qu’il fera, le moment venu, l’objet « d’un débat spécifique et d’un vote spécifique ». Si le chercheur associé à l’Institut Thomas More se concentre sur le projet français, son étude concerne tous les citoyens européens confrontés à des menaces numériques qui ne cessent de croître.

Véritable tremplin vers une surveillance de masse, ce type de traçage numérique menace les libertés individuelles et les droits fondamentaux. Déjà en place en Chine, à Singapour et en Corée du Sud, il est aujourd’hui, sous des formes variables, envisagé ou en cours de déploiement notamment en Italie, en Pologne, en Allemagne, en Espagne et en France. Après l’avoir envisagé un temps, la Belgique y a, pour l’heure, renoncé. « La rapidité avec laquelle la France, comme la plupart des pays européens, a basculé dans ce cauchemar numérique est extrêmement inquiétante », estime Cyrille Dalmont, qui souligne que la technologie employée dans le traçage numérique est la même que celle utilisée dans le cadre du port d’un « bracelet électronique » par une personne qui a fait l’objet d’une condamnation.

Selon l’auteur, le traçage numérique représente intrinsèquement une « atteinte majeure à la liberté fondamentale d’aller et venir » ainsi qu’une « atteinte à la vie privée, puisque les relations interpersonnelles de l’utilisateur et ses déplacements seront connus au travers des échanges continus entre le smartphone de l’utilisateur et tous les objets connectés qu’il va rencontrer dans une journée ». « Il y a un risque de concaténation des données brutes collectées par les acteurs du numérique, ce qui leur permettrait d’établir de futurs profils numériques et d’accéder aux données de santé, qui les intéressent particulièrement alors qu’elles étaient jusqu’ici souvent hors d’atteinte », ajoute Cyrille Dalmont qui y voit la raison pour laquelle les deux géants Apple et Google ont annoncé dès le 10 avril une coopération dans la mise en place d’une infrastructure logicielle pour les applications de « traçage social » dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19. Il existerait enfin « un risque non négligeable que l’exception devienne la règle et que ce type d’outils soit dans le futur utilisé pour de multiples usages, toujours bien sûr au nom de la sécurité des participants et des autres : suivi des manifestations de rue, suivi des supporters dans les manifestations sportives, suivi des participants aux grands événements culturels comme les festivals, etc. ». Et l’auteur d’ajouter : « Si la comparaison avec le système de ‘crédit social’ chinois paraît encore excessive à certains, force est de constater que la logique du traçage nous en rapproche ». (OJ)

 

Cyrille Dalmont. Traçage numérique : pourquoi c’est non. Points clés 23. Avril 2020. Institut Thomas More. Cette étude peut être téléchargée gratuitement sur le site Internet de l’institut : http://www.institut-thomas-more.org

 

Le « big-bang » du 9 mai

Paul Collowald. Le « big-bang » du 9 mai. Entretien réalisé par Henri Lastenouse et Jean-Pierre Bobichon et publié sur les sites Internet de Sauvons l’Europe (http://www.sauvonsleurope.eu ) et de l’Institut Jacques Delors (http://www.institutdelors.eu ). Une version audio est également disponible : https://bit.ly/2wW9oil

 

Europe in the world 

Gilles Grin. Europe in the world – L’Europe dans le monde. Fondation Jean Monnet. Collection Débats et Documents, numéro 14, février 2020. 69 pages. L’ouvrage peut être téléchargé sur le site de la fondation : http://www.jean-monnet.ch

 

Le défi de la transition écologique

Hugues de Jouvenel (sous la direction de). Le défi de la transition écologique. Futuribles. Numéro 435, mars-avril 2020. ISBN : 978-2-84387-448-2. 144 pages. 22,00 €

 

Enjeux olympiques

Frédéric Saenen (sous la direction de). Enjeux olympiques. Presses universitaires de Louvain. Revue générale. Printemps 2020. ISBN : 978-2-8755-8946-0. 254 pages. 22,00 €

 

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