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Bulletin Quotidien Europe N° 12469

18 avril 2020
CARTE BLANCHE / Carte blanche
Pour un changement de cap, par Philippe Lamberts, co-président du groupe Verts/ALE au Parlement européen

Hier, lors de mon discours en plénière, je me suis adressé aux citoyennes et citoyens de l’Union pour évoquer mes craintes et mes espoirs pour notre avenir face à cette pandémie qui plonge l’Europe dans la pire crise qu’elle ait connue depuis la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, chers lecteurs de l’Agence Europe, je souhaite partager ces réflexions avec vous également. 

Au-delà de son impact, le choc provoqué par le coronavirus m’inquiète profondément face aux conséquences qu’il risque de produire au sein de nos sociétés. 

Premier risque : qu’une fois encore, ce soient les plus fragiles qui paient le prix fort : celles et ceux confinés dans des logements trop exigus, dans des quartiers bétonnés, sans domicile fixe ou dont l’emploi ne tient qu’à un fil ; ces demandeurs d’asile enfermés dans des conditions inhumaines aux frontières de l’Union ; les populations du Sud, déjà frappées par la guerre, la dictature, l’épuisement des ressources, le changement climatique et maintenant par la pandémie. Si nous répétons les erreurs commises il y a une décennie, l’injustice pourrait atteindre des sommets inégalés au point de mettre en péril l’existence même de nos sociétés. 

Deuxième risque : qu’au nom de l’urgence sanitaire, nos démocraties se retrouvent durablement affaiblies, malmenées comme en Pologne, voire suspendues sine die comme en Hongrie. Et de voir avancer inexorablement nos sociétés vers un État de surveillance permanente et généralisée. 

Troisième risque : que la pandémie donne l'alibi idéal pour poursuivre l'exploitation sans limites de notre planète et donner un coup d’arrêt aux tentatives de nos sociétés de retrouver le chemin de l’harmonie avec la nature. Le dérèglement climatique, l’effondrement de la biodiversité et l’épuisement des ressources de la planète n’ont pas été arrêtés par le coronavirus. Relancer la machine économique mondiale sans discernement pourrait être bien plus mortifère que la pandémie elle-même. 

Quatrième risque : que cette crise porte un coup fatal à l’idéal de démocratie transnationale que constitue l’Union européenne. Lorsque la pandémie a touché nos rivages, le chacun pour soi a prévalu. Et aujourd’hui, certains persistent dans le refus obstiné d’adopter et de conduire ensemble une stratégie collective. L’Union européenne dispose des moyens indispensables au rétablissement de son économie ; et si nous devons pour cela nous endetter, nous devons le faire collectivement et c’est collectivement que nous rembourserons. 

À cet égard, je veux m’adresser à Wopke Hoekstra, le ministre néerlandais des Finances, à son Premier ministre, Mark Rutte, et à tous celles et ceux qui se cachent derrière eux. L’Allemagne, l’Autriche, la Finlande et tous ces États réputés « sobres » ont été les premiers et principaux bénéficiaires économiques de la construction européenne. Il est proprement scandaleux d’entendre, de la part de responsables politiques néerlandais, des leçons de discipline budgétaire alors que leur pays s’emploie depuis des décennies à organiser l’évasion fiscale à son seul profit et au détriment des autres États. 

Mais le pire n’est jamais sûr que si l’on s’y résout. Car cette crise pourrait ouvrir des horizons nouveaux à nos sociétés, en faisant des victimes aussi inattendues que… bienvenues. 

La première pourrait être cette hiérarchie des métiers, qui place au pinacle de nos sociétés les patrons de multinationales, les traders, ces spéculateurs professionnels, et les rentiers. Aujourd'hui, nous redécouvrons à quel point est essentiel le travail de celles et ceux qui nous soignent, qui cultivent la terre et produisent notre alimentation, qui permettent de nous déplacer ou qui collectent nos déchets, qui, hier et demain, nous permettront d’apprendre, qui, par leur art, nous font penser ou vibrer et élargissent nos horizons.     

Une seconde victime de la pandémie est l’idée que le marché constitue le meilleur garant du bien-être général. La crise l'a montré une nouvelle fois : ce sont bien les institutions démocratiques et les services publics qui en sont les principaux dépositaires.

Une autre victime du virus pourrait être cette obsession du « toujours plus ». Nous découvrons que l’échelle mondiale n’est pas toujours la plus appropriée, et surtout, que la maximisation à outrance de l’efficacité – mesurée à la seule aune du profit – se fait toujours au détriment de la résilience. 

Dans la foulée pourrait succomber l’homo œconomicu, cette perversion déshumanisante qui réduit l’être humain à la seule satisfaction de ses désirs matériels immédiats. Car nous redécouvrons que vivre exige certes un certain confort matériel, mais aussi du temps, de l’espace et des idées qui nous permettent d’être en relation aux autres et au monde.

Plus fondamentalement, le coronavirus pourrait porter un coup fatal au mythe qui fait de l’être humain le maître incontesté de la nature.  

La pandémie marque un temps d’arrêt brutal et planétaire pour l’humanité. À nous de saisir ce moment en suspens pour choisir le chemin que nos sociétés prendront : il est impensable et totalement irresponsable de vouloir simplement « relancer la machine » sur le cap qui était le sien avant le coronavirus. 

Si la pandémie a exposé la vulnérabilité extrême de nos sociétés suite à la division internationale du travail produite par la mondialisation néolibérale, l’autarcie et le repli sur soi ne donnent pas pour autant de meilleurs gages de résilience. Entre local et global, entre efficacité et résilience, nous aurons à créer de nouveaux équilibres. 

Nous sommes appelés à repenser la manière dont nos sociétés fonctionnent, en prenant pour boussole la vie, plutôt que le profit. Ceci requiert intelligence et créativité collectives ; au-delà de la lutte immédiate contre la pandémie, à nous de préparer un autre avenir. 

Face à la pandémie et à ses conséquences, c’est la raison d’être même de l’Union européenne qui est en jeu. Si nous ne sommes pas capables d’agir de manière totalement solidaire face à un défi d’une telle ampleur, qui nous frappe tous, quel est le sens de l’Union européenne ? 

Les égoïsmes nationaux nous conduiront au naufrage ; ce n’est qu’ensemble que nous trouverons le chemin de notre avenir. 

Philippe Lamberts

Coprésident du groupe Verts/ALE au Parlement européen

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