login
login

Bulletin Quotidien Europe N° 13114

4 février 2023
ÉCONOMIE - FINANCES - ENTREPRISES / Interview blanchiment
La lutte contre le blanchiment d'argent est « plus que jamais une question de sécurité » pour l'Europe, estime Eero Heinäluoma
Bruxelles, 03/02/2023 (Agence Europe)

Avec l’agression militaire russe de l'Ukraine, la Présidence suédoise du Conseil de l'Union européenne a fait de la sécurité l’une de ses priorités, notamment à travers la lutte contre le blanchiment d'argent. Elle souhaite donc faire avancer les discussions concernant le règlement ‘anti-blanchiment’ et une nouvelle directive ‘AMLD6’ (EUROPE 13093/10). Dans un entretien accordé à EUROPE jeudi 2 février, l’eurodéputé Eero Heinäluoma (S&D, finlandais), corapporteur sur le réglement relatif à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme (EUROPE 12917/24), a passé en revue ce dossier. (Propos recueillis par Anne Damiani)

Agence Europe - Vous copilotez avec Damien Carême (Verts/ALE, français) les discussions au Parlement européen sur le règlement ‘anti-blanchiment’. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce texte ?

Eero Heinäluoma - Dans notre proposition de rapport, nous suggérons de limiter les transactions en liquide à 5 000 euros et non plus à 10 000 euros. Comme nous l'avons constaté dans plusieurs affaires, l'argent liquide est encore très utilisé pour le blanchiment d'argent, dans des affaires de corruption par exemple. Ainsi, des règles plus strictes pour l'argent liquide, en limitant son utilisation, sont importantes pour la lutte contre le blanchiment d'argent.

Nous devons donc reconnaître le rôle de l'argent liquide. Il reste important pour de nombreuses personnes, mais je suis presque sûr que nous n'avons pas besoin d'utiliser de grandes quantités d'argent liquide. Dans certains cas, je dirais que des dizaines de milliers ou des centaines de milliers d'euros en espèces ne sont pas nécessaires pour quiconque n'est pas un criminel ou ne participe pas au blanchiment d'argent, parce que, bien sûr, vous pouvez utiliser les banques et nous développons également de nouvelles possibilités de paiement, comme l'euro numérique, qui sera un grand pas en avant.

Jusqu’à présent, on rencontrait des problèmes d'interprétation de la directive, car chaque pays pouvait réglementer comme il le voulait. C'est problématique pour la vie économique de ne pas savoir quelles sont les règles. Avec ce règlement, on va diminuer la fragmentation au sein de l’UE.

La directive ‘AMLD6’ traitera de la coopération entre les unités financières et de détails administratifs dans les États membres.

Nous espérons un vote sur la proposition de règlement en commission des affaires économiques et monétaires fin mars. Avec la proposition de directive et ‘AMLA’, ils font partie du même paquet législatif. Les négociations interinstitutionnelles pourraient ainsi débuter en avril ou en mai.

Ce paquet ‘anti-blanchiment d'argent’ est important, car il s'agit plus que jamais d'une question de sécurité pour l'Europe. Après l'invasion russe en Ukraine, après les choses horribles que fait la Russie, ce blanchiment d'argent est aussi une grande menace pour notre sécurité. Cela signifie que des nations étrangères peuvent avoir beaucoup d'influence sur nos sociétés en blanchissant de l'argent et en prenant de l'influence à travers cet argent blanchi dans nos sociétés.

Nous voulons être totalement sûrs que cet argent ne soit pas utilisé dans nos politiques ou qu'il n'a pas d'effet sur elles. Une certaine atmosphère règne au Parlement, les gens peuvent sentir que c'est une question de sécurité, que nous sommes unis et que nous sommes prêts à arrêter le blanchiment d'argent.

Au cours d'une intervention en session plénière (EUROPE 13113/13), vous avez souligné l'existence de lacunes dans le droit de l'UE régissant la lutte contre le blanchiment d’argent. De quelles lacunes parlez-vous ?

L'information sur les bénéficiaires effectifs de société est, selon moi, la plus grande lacune (EUROPE 13090/12).

Si nous ne savons pas qui possède une entreprise, qui transfère l'argent, nous ne voyons pas le vrai visage de l'entreprise. Nous pensons connaître les vrais propriétaires, mais s'ils se cachent derrière, non pas la première société, mais la deuxième ou la troisième, nous ne voyons pas qui bénéficie des transferts d'argent. Nous ne voyons pas les vrais escrocs et, par exemple, les oligarques russes qui peuvent se cacher derrière des structures de sociétés très compliquées.

Il s'agit donc d'un élément important pour l'ensemble de la réforme. Dans son projet de directive ‘AMLD 6’, la Commission européenne a proposé 25%. Je suis d’avis qu’il faut établir ce seuil à 5%. Vous ne pouvez pas vous soustraire aux règles en ayant cinq sociétés qui détiennent 20% des parts de la société en question. Abaisser le seuil à 5% signifie que vous pouvez vraiment voir qui possède les sociétés et qui en bénéficiera.

Il y a des discussions en cours en ce moment au Conseil de l’UE, mais aussi au Parlement avec les rapporteurs fictifs, sur le seuil à partir duquel il faut informer de la propriété effective. C’est une question difficile, car il y a aussi d'autres opinions, comme toujours, mais nous essayons de trouver un bon compromis.

Il est question de tenir un registre public de la propriété effective alors que la Cour de justice de l'UE a retoqué la disposition imposant la publicité sur les bénéficiaires effectifs de sociétés (EUROPE 13068/28). Qu’en pensez-vous ?

Effectivement, avec le seuil, le registre est l’un des points principaux de la réforme. Cette décision de la Cour de justice rend les choses plus compliquées.

Notre but au Parlement est de faire en sorte que le registre soit public et ouvert aux journalistes. Les vrais scandales de blanchiment ont été révélés par le travail des journalistes et des organisations civiles et non par la police ou les unités de renseignement financier. Il faut ouvrir un registre, car cela peut bénéficier aux citoyens. La transparence est l'un des facteurs clés de la lutte contre le blanchiment.

Cette décision a été une vraie surprise pour moi. Et je dois dire que je ne comprends pas totalement le raisonnement qui sous-tend cette décision. Je suppose qu'il s'agit d'une sorte d'interprétation concernant la protection de la vie privée. Il s’agit également d’une question de proportionnalité. Comme toujours, il existe d’un côté la transparence et de l’autre côté la protection de la vie privée.

Je dirais que c'est un peu une question ouverte. Parce que le Parlement fait les lois et ensuite, la Cour interprète les lois. Nous y travaillons, le livre n'est pas fermé.

Selon vous, faut-il renforcer les moyens de la police ?

Je pense que la nouvelle Autorité européenne de lutte contre le blanchiment ‘AMLA’, lorsqu'elle commencera son travail, disposera de suffisamment de ressources pour pouvoir réellement intervenir. Elle aura suffisamment de ressources pour collecter les informations, mettre en place des règles ou émettre des recommandations aux partenaires et aux unités de renseignement nationales. Elle aura une possibilité d'intervenir, si elle voit que, dans certains des États membres, on ne s’acquitte pas de ses devoirs.

Vous évoquez l’AMLA. Les États membres ont trouvé un accord concernant les modalités de ce nouvel organe de l'UE, mais la question du siège reste en suspens (EUROPE 13093/10). Qu’en pensez-vous ?

Le vrai changement, c'est l'élaboration de la politique. Pour la première fois, selon la décision de la Cour, le siège sera choisi en codécision entre le Parlement européen et le Conseil.

Nous sommes convenus qu'il est important que tous les candidats aient la possibilité de se présenter officiellement et ouvertement, de manière transparente. Il doit y avoir des critères qui sont connus de tous. Mais il sera vraiment intéressant de voir ce qui va se passer. Nous sommes convenus que ce siège de l’AMLA ne serait pas la première question que nous allions aborder, mais la dernière, car, bien sûr, il y aura une lutte intense.

Il y a beaucoup de bons candidats. Paris, par exemple, est un candidat très solide.

Sommaire

ACTION EXTÉRIEURE
Invasion Russe de l'Ukraine
SÉCURITÉ - DÉFENSE
ÉCONOMIE - FINANCES - ENTREPRISES
POLITIQUES SECTORIELLES
INSTITUTIONNEL
DROITS FONDAMENTAUX - SOCIÉTÉ
SOCIAL
BRÈVES